Dieu attache, quand il lui plaît, le salut de certaines personnes à des paroles de verité qu’il a semées dans leurs ames vingt ans auparavant, & qu’il réveille, aprés ce nombre d’années, pour leur faire produire des fruits de vie. […] On y voit toujours une vive representation de l’attache passionnée d’un sexe pour l’autre, & le plaisir qu’ont les femmes d’être aimées & adorées des hommes.
Or pour attacher le Peuple à un Spectacle sérieux, il faut nécessairement des objets capables de causer une grande émotion. Des Personnes qui ont de l’éducation, ne vont pas ordinairement voir attacher un homme à la potence ; la Populace le suit, & le suivra avec plus d’empressement, si on doit lui voir souffrir un supplice plus considérable.
On ne s’attache qu’à leur apprendre la politesse, les belles manieres & l’usage du monde ; en sorte qu’à dix ans ils sont en état de paroître dans ce qu’on appelle les meilleures compagnies, où on a grand soin de les présenter. […] Par quel renversement de bon-sens peut-on regarder comme glorieuse sur le Théatre, une action à laquelle toutes les loix ont attaché des peines infamantes ? […] Attacher son cœur sur la scene, c’est annoncer qu’il est mal à son aise.
Il n’y aurait que les libertins qui pussent voir les pièces déshonnêtes ; les femmes de qualité et de vertu en auraient de l’horreur, au lieu que l’état présent de la Comédie ne faisant aucune peine à la pudeur attachée à leur sexe, elles ne se défendent pas d’un poison aussi dangereux et plus caché que l’autre qu’elles avalent sans le connaître, et qu’elles aiment lors même qu’il les tue. […] Cette estime pour Cornélie que le Poète a voulu donner en cet endroit aux Spectateurs, après l’avoir conçue lui-même, vient du fond de cette même corruption qui fait regarder dans le monde comme des enfants mal nés et sans mérite, ceux qui ne vengent pas la mort de leurs pères, ou de leurs parents, en sorte que le public attache souvent leur honneur à l’engagement de se battre contre les meurtriers de leurs proches ; qu’on les élève dans de si horribles dispositions, et qu’on mesure leur mérite à la correspondance qu’on trouve en eux, au sentiment qu’on prétend leur donner ; que ces sortes de représentations favorisent encore d’une manière pathétique, et qui s’insinue plus facilement que tout ce qu’on pourrait leur dire d’ailleurs. […] En effet, comme remarque excellemment Lactance, quelque douceur qu’il y ait dans les sons harmonieux qui flattent nos oreilles, on les peut aisément mépriser, parce qu’ils ne laissent point d’impression dans le cœur, et qu’ils ne s’attachent point pour ainsi dire à la substance de l’âme.
C’est pourquoi le plaisir qu’on éprouve à quelques uns de ses Drames, nous remplit de cette douceur délicieuse qu’on ressent à con templer des objets réels, qui nous occupent & nous attachent.
Mais aussi ils ont beaucoup moins de succez, & ne contribuent à la Discipline & au Métier, qu’une intelligence bien grossiere & bien imparfaite : car outre qu’on fait toûjours la mesme chose, on s’attache à des actions particulieres qui ne servent presque de rien, ou presque jamais, qui sont naturellement sceuës & atenduës, ou qui ne se doivent enseigner qu’en particulier.
J’ai suivi vos avis, ma sœur : je vais au Spectacle ; j’y vois ma Rivale : je m’attache à saisir son ton ; j’imite sa voix, son sourire, jusqu’à son geste.
Les parents sont, pour l’ordinaire plus occupés de l’apparence et de l’extérieur, que du fond et de l’essentiel de l’éducation de leurs enfants : on ne s’attache à leur apprendre que la politesse, les belles manières et l’usage du monde ; en sorte qu’à dix ans ils sont en état de paraître dans les meilleures compagnies, où on a grand soin de les présenter.
La complaisance pour des Supérieurs ou pour un Epoux, des occasions forcées, le service attaché à certains emplois, autorise en pareil cas la tolérance de ces guides spirituels, qui comptent de plus sur l’inébranlable fidélité d’une ame solidement chrétienne. […] Ses Tragédies, ses Cantiques, ses Lettres, sa Prose & ses Vers sont comme paîtris de cette faculté souple & délicate qui s’attache sous sa main aux différentes matières qu’il traite, qui les anime, les vivifie, leur communique ce charme secret qui intéresse, & cette chaleur douce & continue dont il ne faut pas chercher la source dans des mouvemens passagers de tendresse, mais dans le trésor inépuisable d’un cœur naturellement sensible & fécond. […] Le sentiment au contraire n’est point attaché aux situations, ni à l’action, puisqu’elles peuvent être intéressantes dans une Tragédie mal écrite, & remplie de lieux communs ; mais aux pensées & aux expressions, de même que la dignité, l’élévation & le sublime. […] On sent en effet qu’il s’est plus attaché à la peinture des passions qu’à celle des mœurs ; & par là il est tombé dans l’inconvénient de cette ressemblance de personnages, qu’on lui reproche avec raison, & qui a donné lieu de l’accuser aussi, mais mal-à-propos, de n’avoir mis sur la Scène que des François déguisés. […] Ne seroit-ce point la Pièce que Racine s’est attaché à versifier avec le plus de force & de correction ?
Mais c’était assez pour moi, qui ne voulais que prémunir mes Lecteurs contre le danger de n’attacher d’importance et de prix qu’aux choses de pur agrément, et de flétrir souvent d’une sorte de mépris ce qui vraiment est le plus utile à la société ; c’était, dis-je, assez pour moi d’examiner l’influence de cet art si beau, si puissant de la parole dans l’état civil, afin de montrer le grand intérêt que nous avons tous au succès comme au rétablissement de l’éloquence de la Chaire et du Barreau.