Gresset est encore dans l’âge des succès : il a réussi dans l’Art Dramatique au point de disputer du rang avec les premiers Maîtres de la Scène : il faisoit espérer de nouveaux plaisirs à la Capitale, on l’y attendoit, on l’y desiroit ; on se plaignoit de la Province qui captivoit trop ces talents supérieurs. […] Il s’élevoit souvent des nuages dans mon ame sur un art si peu conforme à l’esprit du Christianisme, & je me faisois, sans le vouloir, des reproches infructueux, que j’évitois de démêler & d’approfondir : toujours combattu, toujours foible, je différois de me juger, par la crainte de me rendre & par le desir de me faire grace. […] Dieu a daigné éclairer entièrement mes ténébres, & dissiper à mes yeux tous les enchantements de l’Art & du Génie. […] Tous les suffrages de l’opinion, de la bienséance, & de la vertu purement humaine, fussent-ils réunis en faveur de l’Art Dramatique, il n’a jamais obtenu, il n’obtiendra jamais l’approbation de l’Eglise. […] Je laisse de si minces objets pour finir par des considérations d’un ordre bien supérieur à toutes les brillantes illusions de nos Arts agréables, de nos Talents inutiles, & du Génie dont nous nous flattons.
On voit par ce peu de mots, que la voix & le geste ne sont pas plus naturels à l’homme que le chant & la danse ; & que l’un & l’autre sont pour ainsi dire les instrumens de deux arts auxquels ils ont donné lieu. […] Ces deux hommes rares ne furent point remplacés ; leur art ne fut plus encouragé par le Gouvernement, & il tomba dans une dégradation sensible depuis le règne d’Auguste jusqu’à celui de Trajan, où il se perdit tout-à fait. […] La Danse ensevelie dans la barbarie avec les autres Arts, rèparut avec eux en Italie dans le quinzième siècle : l’on vit reparaître les Ballets dans une fête magnifique, qu’un Gentilhomme de Lombardie nommé Bergonce de Botta, donna à Tortone pour le mariage de Galéas Duc de Milan. […] La Danse, considérée comme l’art de porter le corps avec grâce, avec aisance, dégagement, & le moins de fatigue possible, est un Art libéral, & une science nécessaire dans une bonne éducation : la Danse considérée, comme l’Art représenter par des mouvemens & des attitudes, quoique moins utile & moins louable, a son degré de mérite, comme fesant partie du Comédisme : il est une troisième sorte de Danse, qui consiste à voltiger sur une corde, avec ou sans contrepoids ; cette Danse était connue des Grecs 1345 ans avant J.
On ne peut la contester à ceux qui exercent les arts libéraux ; mais comme il est arrivé de grandes révolutions dans les autres, depuis trois siécles ; il y en a plusieurs qui ont pris place à côté des beaux arts, & ceux qui s’en occupent jouissent de la même dénomination. […] Mais ceux-là seuls ont droit de prendre le titre d’Homme à talents ; parce qu’on ne doit appeler ainsi que ceux qui, sans aucun assujettissement, sans nulle contrainte, exercent un art où l’imagination & le génie en font plus que la main. […] & dans les Arts, des gens qui avoient pris un état bien opposé. […] Un Forgeron peut rafiner son art, & surpasser ses Confréres, sans que l’art en obtienne un dégré de noblesse de plus. […] Aucun des beaux Arts n’est méprisable ; & il n’est véritablement honteux, que d’attacher de la honte aux talents.
L’art trop affecté lui nuirait, au lieu de l’embellir ; il ne s’écarte guères de la Vérité ni de la Nature ; & de là lui viennent ses principales beautés ; aussi ne cherche-t-il point ordinairement loin de nous les moyens de plaire. […] L’Art des Tragiques Grecs est de persuader que l’action s’est passée comme ils la représentent, & qu’elle n’a pu se passer différament. Je soutiens que les Auteurs de l’Opéra-Bouffon portent quelquefois cet Art encore plus loin. […] La Nature est préférable à l’Art, personne n’en doute.
Le Public n’est jamais leur dupe : l’impression met enfin au grand jour les fautes que l’art de l’Acteur dérobait à la vue ; & l’on soutient à peine la lecture d’une Pièce qu’on ne pouvait se lasser d’entendre au Théâtre. […] L’art de la déclamation ou du jeu théâtral, paraît s’être perfectionné de nos jours, il est du moins plus difficile. […] Je ne veux point entrer dans le détail des études aux quelles le Comédien est obligé de se livrer ; ni lui éxpliquer les règles de son art, je ne veux parler que de la beauté de son jeu arrivé à sa perfection, & de son éffet sur la Scène, lorsqu’il est conduit par la Nature. […] Il est vrai que ce que je recommande ici est d’une éxécution très-difficile ; mais les Acteurs consommés donnent l’éxemple ; le jeune Comédien, qui, voudra se distinguer dans son art, n’a qu’à s’éfforcer de les imiter. […] La coèffure des Actrices en général mérite le même reproche ; une simple Paysanne a-t-elle ses cheveux bouclés avec art, & porte-t-elle des pompons & des aigrettes ?
Est-ce là saisir la nature, dans un Art où l’on se flatte le plus d’en approcher ? […] Soyons fortement persuadés que l’Opéra-Sérieux est une vraie Tragédie, qui doit être composée avec tous les soins de l’Art. […] En faut-il davantage pour nous persuader qu’un Opéra-Sérieux est l’ouvrage du goût & de la connaissance parfaite des règles de l’Art ? […] C’est l’Art du Poète qui le fait naître ordinairement. […] Il faudrait donc réunir, ainsi qu’on l’avait sagement proposé, le Spectacle moderne au Théâtre fondé par Quinault pour la gloire des Arts.
Quand un Comédien s’en fait honneur, ou il se borne à l’art de la représentation, c’est-à-dire, à tout ce qui convient à soi-même, ou à la scène, pour bien imiter ses personnages ; ou il entend par là, l’art du Drame, qui lui-même comprend la critique. […] Outre qu’il n’y a rien en tout cela qui fasse présumer la moindre des qualités nécessaires à fixer le prix d’un Poëme ; cet art est peu de chose en soi, & n’est pas ignoré du dernier des Auteurs. […] C’est à leur caractère, à leur dignité à la dicter, & c’est l’art du Poëte. […] & on ne niera pas que parmi nos Poëtes il en soit qui sçavent mieux l’art théatral qu’aucun Comédien. […] Un Poëte occupé des principes de son art, ressemble à un grand Général, entouré de soldats timides, qui retiennent sans cesse les nobles transports de son courage.
S’il est démontré que les Drames modernes sont remplis de difficultés, il est clair qu’ils éxigent des règles, un art inconnu du vulgaire qu’on ne peut se dispenser d’apprendre ; faut-il donner la torture à son esprit pour tirer cette conséquence ? […] Quétant, si connu par le succès incroyable du Maréchal-Ferrant, s’exprime à ce sujet avec beaucoup de force ; « C’est, dit-il, une erreur d’imaginer qu’il faille moins d’art pour faire un Opéra-Comique, que pour composer une grande Pièce. » Les paroles de celui à qui nous devons presque l’éxistence de notre Opéra, ne trouveront pas, je l’espère au moins, aucun contradicteur. […] On verra dans le cours de mon Livre, l’art avec lequel l’Opéra-Bouffon fait mettre en usage leurs préceptes ; c’est une cire mole qui prend à son gré toutes sortes de formes.
Et ce fut du sein de ces bacchanales d’où jaillissaient parfois des éclairs de génie, qu’on vit s’élever l’art dramatique, grand et sublime ! […] Une extrême rigueur alors succède à une mollesse extrême, et au lieu d’expulser la satire, l’art lui-même fut banni d’Athènes. […] Issu d’un sentiment religieux, l’art dramatique grossier, barbare, vague, inaperçu à son berceau dans les campagnes de l’Attique, grandit, paré de grâces, d’élégance, brillant de génie. […] Il fit une révolution dans l’art dramatique en introduisant la philosophie sur la scène. […] Puisse l’Athénée des Arts agréer mes faibles efforts à remplir ses hautes vues de morale.
Le sieur Sahalin, Tailleur costumier de Monseigneur le Comte d’Artois, charge de nouvelle création qui ne se trouve pas dans l’Etat de la France, a écrit une belle lettre aux Journalistes de Trévoux, à laquelle, pour rire sans doute, ils ont accordé les honneurs de la presse, pour exposer les prérogatives de son art, qu’il fait marcher de pair avec tous les arts libéraux, fort au dessus des arts méchaniques. […] Pour tirer ce grand art de la foule des métiers roturiers, il établit sa noblesse en remontant à son origine. […] Un art si sublime & si nouveau demandoit un nom propre qui le distinguât : le sieur Sahalin a imaginé celui de Tailleur costumier, & a donné à ses anciens confreres celui de Tailleurs routiniers, qui travaille sans art, sans principe, ce qui pour eux est peu honorable. […] L’Académie, qui traite de tous les arts, ne leur refuse pas des certificats autentiques. […] Une salle de spectacle réunit dans le plus beau jour tous les arts.