Saint Paul nous a défendu les paroles de raillerie, et celles qui ne tendent qu'à un vain divertissement ; mais le Démon nous persuade d'aimer les unes et les autres. […] Si vous ne les dites pas, vous aimez au moins ceux qui les disent : Mais d'où prouverez-vous que vous ne les dites pas ? Si vous n'aimiez point à les dire, vous n'auriez point tant de plaisir à les écouter, ni tant d'ardeur à courir à ces folies. […] Conduisez-vous de même à l'égard de ces paroles infâmes, et s vous voulez que nous croyions que vous n'aimez pas à en dire, n'aimez pas aussi à les écouter. […] Tous ces fantômes honteux demeurent dans votre esprit et dans votre cœur ; et c'est de à qu'il arrive que vous avez aversion de ce que vous devriez aimer, et que vous aimez ce que vous devriez avoir en horreur.
De quelque manière que vous vouliez qu’on le tourne et qu’on le dore ; dans le fond ce sera toujours, quoi qu’on puisse dire, la concupiscence de la chair, que Saint Jean défend de rendre aimable, puisqu’il défend de l’aimer. […] Croyez-vous en vérité, que la subtile contagion d’un mal dangereux demande toujours un objet grossier, ou que la flamme secrète d’un cœur trop disposé à aimer en quelque manière que ce puisse être soit corrigée ou ralentie par l’idée du mariage, que vous lui mettez devant les yeux dans vos héros et vos héroïnes amoureuses ? […] Le licite et le régulier le ferait languir s’il était pur : en un mot, toute comédie, selon l’idée de nos jours, veut inspirer le plaisir d’aimer : on en regarde les personnages, non pas comme gens qui épousent, mais comme amants : et c’est amant qu’on veut être, sans songer à ce qu’on pourra devenir après.
Il faut donc que toutes nos actions soient rapportées à sa gloire et qu'elles témoignent que nous sommes amateurs de Jésus crucifié, que nous aimons ce qu'il a aimé, et que nous haïssons ce qu'il a haï.
L’amour et les charmes d’une jeune épouse chèrement aimée, ne font aucune impression sur l’esprit de Polyeucte. […] J’aime à voir plaindre l’infortune d’un grand homme malheureux ; j’aime qu’il s’attire de la compassion, et qu’il se rende quelquefois maître de nos larmes : mais je veux que ces larmes tendres et généreuses regardent ensemble ses malheurs et ses vertus, et qu’avec le triste sentiment de la pitié nous ayons celui d’une admiration animée, qui fasse naître en notre âme comme un amoureux désir de l’imiter. […] Tel peut s’abandonner lâchement à l’insulte d’un ennemi peu redoutable, qui défendra ce qu’il aime jusqu’à la mort contre les attaques du plus vaillant. […] Bien souvent nos plus grands Héros aiment en Bergers sur nos Théâtres, et l’innocence d’une espèce d’amour champêtre leur tient lieu de toute gloire et de toute vertu. […] Quand Agamemnon sacrifia sa propre fille, et une fille tendrement aimée, pour apaiser la colère des Dieux, ce sacrifice barbare fut regardé comme une pieuse obéissance, comme le dernier effet d’une religieuse soumission.
Aime-t-on donc la douleur ? […] Faut-il s’étonner si j’aimais tant à verser des larmes à la représentation de ces malheurs étrangers et imaginaires ? […] Vous aimez, vous nourrissez en lui ce qu’il y a de mauvais. […] Voilà un bon Acteur, vous l’aimez, vous lui applaudissez, vous vous dépouilleriez pour lui, vous le regardez comme votre fils. […] Pourquoi injure, si ce n’est parce que ce que vous aimez et applaudissez en lui est une chose honteuse ?
C'est beaucoup lui nuire que de l'accoutumer à regarder ces sortes d'objets sans horreur et avec quelque sorte de complaisance, et de lui faire croire qu'il y a du plaisir à aimer et à être aimé.
Dans toutes les piéces tendres on voit toujours un Prince aimé, & qui rencontre des obstacles à son bonheur, ou un Prince qui n’est pas aimé, & qui se resout à tout pour gagner un cœur qui se refuse à ses vœux. […] Car qui n’a pas aimé ? Quoiqu’on ne soit ni Roi ni Prince, ceux-ci n’ont pas une autre maniere d’aimer.
Car on s'accoutume à aimer ce qu'on se fait une habitude de voir. […] Il n'aimait pas encore, mais il demandait à aimer, et une secrète misère faisait qu'il avait regret à n'être pas assez misérable. Une vie tranquille sans agitation, et sans péril lui était insupportable, et il n'aimait que les routes pleines de pièges, et de filets.
Quand Dieu dit dans l'Ecriture que « celui qui aime le danger y périra », « Qui amat periculum peribit in illo. » Ec[clésiaste]. c. 3. […] Il faut leur répondre qu'il n'est pas possible de séparer dans les spectacles l'agréable d'avec le licencieux, et que c'est se tromper que de croire qu'on n'aime pas le péché quand on aime ce qui le cause.
Avec ces sentiments, on voit bien qu’il ne pouvait pas être partisan du théâtre, où l’on enseigne une morale toute opposée, où le célibat est un ridicule, le nom de virginité inconnu, où l’amour est le bien suprême, l’union avec ce qu’on aime, le comble du bonheur, où tout ce qui peut inspirer la volupté est étalé avec toutes ses grâces, beauté, nudité, danse, chant, parures, attitudes, vers, sentiments, intrigue, etc. […] On le soupçonna d’aimer la bonne chère, et il pratiquait le jeûne le plus rigoureux, il venait à jeun aux repas de cérémonie qu’il était obligé de donner à sa Cour. […] Tout cela n’est que vanité, dont vous devez prier Dieu avec le Prophète de détourner vos yeux : « Averte oculos meos, ne videant vanitatem. » Celui qui marche dans la voie de Dieu, n’estime, n’aime point les vanités du siècle : comment daignerait-il les regarder ? […] Non, les sacrilèges et la fureur d’Hérode ne furent pas si funestes à Jean que le poison de la danse : « Plus nocuisse saltationis illecebram, quam sacrilegi furoris amentiam. » Fuyez donc la danse, si vous voulez être chaste, au jugement même des sages païens ; elle ne peut être que le fruit de l’ivresse ou de la folie : « Juxta sapientiam sæcularem, saltationis temulentia auctor est aut dementia. » Voilà, mères Chrétiennes, de quoi vous devez garantir vos filles ; apprenez-leur la religion, et non la danse ; il n’appartient qu’à la fille d’une adultère d’être une danseuse : « Videtis quid docere, quid dedocere filias debeatis ; saltet sed adultera filia, quæ vero casta est, filias suas doceat castitatem, non saltationem. » Il cite une foule d’exemples de saintes Vierges qui ont mieux aimé souffrir la mort, et même se la donner, que de perdre la virginité. […] profitons du temps, aimable jeunesse, la vie s’envole comme un léger nuage, hâtons nous d’en jouir, ne laissons pas passer le printemps sans en cueillir les fleurs, avant qu’elles se flétrissent ; laissons partout des traces de nos plaisirs, faisons-nous des couronnes de roses, et ne songeons qu’à jouir agréablement des charmes de la volupté, puisque tout va s’anéantir dans le tombeau : « Non prætereat nos flos temporis, coronemus nos rosis antequam marcescant. » Si l’on ne voit pas dans ce portrait le théâtre et sa morale, le parterre et sa folie, les Actrices et leurs manèges, le spectacle et ses dangers, les coulisses, les loges, les foyers, les maisons des Comédiens, la vie des Comédiennes, on ne voit pas le soleil à midi ; mais si après ces connaissances, on aime encore, on fréquente le théâtre, plus misérablement aveugle, on ne voit pas l’enfer ouvert sous ses pieds.