La marche réfléchie qui file lentement & savoure graduellement l’objet de la volupté, en développant successivement tous ses charmes, est plus agréable & moins fatigante que l’impétuense brutalité & l’aveugle ivresse du transport qui s’y précipite, de même que dans les repas le rafinement de la gourmandise, qui mâche peu à peu, qui boit goutte à goutte, flatte plus délicieusement le palais que la volupté qui engloutit les alimens & les boissons. […] L’aventure de l’amour dans les Graces, qui ne sait ce que c’est qu’une femme, dans Lucinde, dans l’Oracle, qui ne sait ce que c’est qu’un homme, celle de deux filles dans l’Isle sauvage, à qui leur mere fait accroire qu’on devient blanc ou noir selon qu’on aime ou n’aime pas ; qu’on l’examine bien, ce n’est qu’un thème mis en trois façons ; mais en toutes l’excès du bonheur d’un jeune cœur qui peu à peu goûte l’amour pour la premiere fois, n’annonce & ne forme qu’un voluptueux délicat, qui ne s’enivre pas tout d’un coup d’un plaisir extrême, mais qui savoure lentement, & boit à petits coups la douceur de la volupté, & se satisfait en caressant son idée, & exaltant par degrés la passion. […] Aussi la Déesse de la volupté en est l’apôtre, le modèle, la protectrice.