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14. (1640) Traité des Spectacles des Gentils « SAINCT CYPRIAN DES SPECTACLES. » pp. 155-193

Ils n’attendent pas qu’on deffende les spectacles, ils preuiennent eux-mesmes, & demandent hardiment ; qui les peut impreuuer puisque la Saincte Escriture les appreuue ; le Prophete Helie n’a t’il pas mené le chariot d’Israël ; Dauid n’a t’il pas dansé deuant l’Arche d’Alliance à la face de tout son peuple ; ne lisons nous pas qu’aux plus Sainctes réjoüissances on a fait des concerts de voix & d’instruments ; qu’on y a fait retentir les Harpes, les Tambours, les Trompettes, & les Psalterions. […] Que si la sainte Escriture n’a pas le pouuoir de desabuser vn Chrestiẽ, qu’au moins la honte d’auoir esté si long temps abusé le fasse reconnaistre ; & qu’il ne prophane plus l’Escriture, parce qu’elle est prudente ; elle s’accommode comme vne mere bien auisée à nos infirmitez ; elle donne quelquefois des commãdemens, quelquefois de simples conseils : & souuent ce qu’elle veut défendre est mieux défendu par son silence que par sa voix, quand sa modestie le veut ainsi ; si la verité y paroissoit tousiours nüe, elle auroit changé de nature, ayãt ses nourrissons en si mauuais estime. […] Tous les Demons president diuersement à ces disputes de course, de force, de vigueur des nerfs, de voix & d’instruments, qui ont pris origine dans la Grece ; les Demons sont arbitres de ces assemblées : Et si l’on recherche soigneusement la source de toutes ces illusions & de ces charmes trompeurs qui gaignent si subtilement la veuë & les oreilles d’vn spectateur, on la découurira dans vn mort, dans vn Idole, ou dãs vn Diable : c’est ainsi que ce rusé aduersaire preuoyant que l’Idolatrie route nuë & sans fard paraistroit mõstrueuse, & qu’elle dõneroit plus d’horreur que d’amour, s’auisa de la reuestir des spectacles, afin qu’auec le foïble plaisir dont ils sont meslés, elle pût cacher sa laideur sous vn visage est ranger. […] Ie ne puis souffrir que les Chrestiens, au lieu de condamner ces spectacles y donnent leur attention ; & ils ne sçauroient sans faire tort à leur condition, porter la veuë sur les actions bouffonnes de certains charlatans qui ont appris des Grecs l’art d’imiter toutes sortes de voix pour le plaisir des oreilles ; quel agreement y a t’il dans ces sots exercices. L’vn fait exprimer à sa trompette vn son guerrier & enroüé, & l’autre fait exprimer à sa flute des voix plaintiues ; vn autre voulant accorder vn instrument auec la voix delicate d’vn homme, emplit le corps du sien de l’air qu’il a premierement attiré dans ses poulmons ; il se peint la face à force d’y souffler, & puis retirant par les pertuis l’air qui s’y est gardé quelque temps, & entrecouppant le son à diuerses reprises, il tasche de donner à ses doigts l’vsage de la parolle : Et bien qu’il forme seulement des voix inarticulées, n’est-il pas bien m’éconnaissant de renuerser ainsi les ordres du createur, qui pour parler ne luy a pas dõné les doigts mais la langue.

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