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250. (1694) Lettre d’un Docteur de Sorbonne à une personne de Qualité, sur le sujet de la Comédie « letter » pp. 3-127

Je lui demanderais encore volontiers si cette harmonie de l’âme est plus en sureté au travers de ces représentations pompeuses de notre cothurne le plus élevé et le plus sublime, où l’on introduit des héros et des héroïnes, dont on fait consister le mérite à pousser les passions les plus grandes aux plus grands excès ; où les jalousies, les désespoirs, les vengeances, les trahisons, les incestes, les parricides, et d’autres crimes horribles qui devraient être ensevelis dans des ténèbres éternelles, sont relevés et dépeints avec les couleurs les plus vives, et bien plus capables de les faire admirer que de les faire détester. […] saint François de Sales prétend que des Spectacles et des poupées de dévotion sont capables de dissiper l’esprit chrétien et de réveiller l’esprit du monde ; et on croira qu’il a permis comme choses innocentes les Spectacles d’aujourd’hui, tout profanes qu’ils sont ; et où des poupées non pas de dévotion, mais des Poupées de licence bien animées et bien vives, paraissent avec les ajustements et tous les airs les plus mondains ? […] Le Cardinal de Richelieu avait cru que ces conditions était compatibles avec les divertissements qu’on cherche à la Comédie : mais l’expérience a fait voir le contraire ; la Scène depuis ce temps-là n’a point changé de face, on a représenté depuis comme auparavant des Pièces purement Comiques, on a joué des farces, on a dansé des ballets, les décorations ont été également pompeuses, les Acteurs et les Actrices ont paru avec les mêmes airs et les mêmes ajustements, les passions les plus vives et les plus piquantes, ont éclaté dans les Pièces les plus sérieuses ; et quand on pense dire son sentiment là-dessus, on répond que sans tout cela les Acteurs et les Spectateurs se morfondraient également au Théâtre, tant il est vrai que la Comédie sera toujours Comédie, et les Comédiens toujours Comédiens, c’est-à-dire, toujours infâmes. […] Notre Docteur pousse son impudence encore plus loin ; il se mêle de faire interroger les Evêques sur faits et articles, et les oblige de prononcer de vive voix l’absolution des Comédiens, ou en tout cas de les autoriser par leur silence : « D’ailleurs, dit-il, quand on demande aux Evêques et aux Prélats ce qu’ils pensent de la Comédie, ils protestent que quand elle est honnête, et qu’il n’y a rien dedans qui blesse les Mœurs et le Christianisme, ils ne prétendent point la censurer : et, quand ils ne le diraient pas, on peut le conjecturer de leur conduite, puisque dans les Diocèses où l’on se sert de ces Rituels, on ne laisse pas d’y jouer la Comédie, qui y est soufferte, et peut-être approuvée. » Il faut être bien hardi pour faire jurer des Evêques sur une telle matière ; et il ne le faut pas être moins pour leur faire approuver par leur conduite ce qu’ils condamnent dans leurs Rituels.

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