Jurieu cependant est un ennemi déclaré du théatre, il dit l. 2, c. 3 : une personne qui revient du bal ou de la comédie est très-mal disposé à la dévotion ; on a beau dire qu’on a rendu le théatre chaste, qu’on n’y entend plus que des leçons de vertu, que les passions n’y paroissent animées que pour la défense de l’honneur, qu’on n’y produit que des sentimens de générosité ; pour moi je dis que les vertus du théatre sont des crimes selon l’esprit de l’Évangile, & que si on y entendoit quelque chose de bon, il est gâté par l’impureté des lèvres & des imaginations à travers lesquelles il passe. […] O impiété, vous faites monter la vertu sur le théatre, & vous en faites une Comédienne ! […] Il n’est pas honnête, dit Cicéron, de s’exercer contre les Dieux, même par jeu d’esprit, nous ne devons point nous divertir à leurs dépens, ni jouer la vertu. […] Moliere eût manqué son but s’il n’eut fait ressembler son imposteur aux hommes de bien ; on n’est hypocrite que pour avoir l’extérieur & l’apparence de la vertu qui cachent le vice, mais cette ressemblance tournée en ridicule, rend suspect le véritable homme de bien, & dégoûte de la vertu qui peut si aisément être suspecte ; quand ensuite Louis XIV la permit, il fit changer le nom de Tartuffe en celui d’Imposteur, parce que ce mot qui est de son invention est un de ces mots imitatifs qui peuvent s’appliquer au bien & au mal ; ce mot peint un homme doucereux & affecté, qui peut être bon ou mauvais, & qui fait une confusion dangereuse du vice & de la vertu. […] L’esprit & la beauté suffisent pour entraîner ceux que les femmes voudroient choisir (je ne garantis pas la durée de ces chaînes) ; qu’avec ce secours elles porteroient des coups plus certains (à la vertu), & blesseroient les hommes plus vivement que leurs flêches ne blessoient les animaux.