Si l’on appréhende que ces passions dont nous parlons ne fassent impression sur les faibles, il faut leur défendre d’aller à la Comédie, et non point aux autres, ou bien l’on peut inférer dans la Comédie quelques traits forts et vifs qui donnent le dessus à la vertu en condamnant le vice, à l’imitation de Virgile qui ayant dépeint Neptune dans l’impétuosité de sa colère, lui fait prendre ensuite le parti de la douceur, cela se pratique dans beaucoup de Comédies d’à présent ; ou si l’Auteur de la Comédie ne le fait point, le spectateur le peut faire lui-même. […] De sorte qu’au lieu que le devoir d’un Chrétien, selon l’esprit de l’Evangile, est de mortifier en soi les passions et de les détruire ; au contraire l’exercice ordinaire d’un Comédien est de les exciter en soi et dans les autres ; et pour faire aimer ces mouvements déréglés du cœur et les rendre agréables, on les colore du nom de vertus, comme l’ambition et la vengeance de grandeur d’âme ; le désespoir et l’opiniâtreté, de constance invincible, ainsi du reste. […] » Saint Chrysostome dans son Homélie 38. sur le Chapitre 11 de Saint Matthieu, vers la fin, parlant en particulier de la chasteté et de la vie mortifiée qu’il faut mener pour la conserver, dit ces paroles pour éloigner de la Comédie, et de celle particulièrement où l’on chante la musique : « Comment, dit ce Père92 , pourrez-vous supporter la peine qu’il y a à conserver la chasteté, vous qui vous laissez aller éperdument à la joie, et qui prenez tant de goût à des chansons lascives : car si celui qui en est éloigné a beaucoup de peine à embrasser cette vertu ; comme se pourra-t-il qu’en jouissant de ces plaisirs, on puisse vivre chastement ? […] » Si l’on n’avait rien retranché dans les Comédies, et qu’elles fussent aussi mauvaises qu’elles l’ont été, il n’y aurait que les libertins qui y iraient : les personnes de qualité et de vertu en auraient de l’horreur : au lieu que l’état présent de la Comédie, ne faisant ce semble aucune peine à la pudeur, on ne se défend pas d’un poison qui est d’autant plus dangereux qu’il est caché ; qu’on l’avale sans le connaître, et qu’on l’aime lors même qu’il tue.