Projet pour rendre les spectacles plus utiles à l’Etat Je suis de l’avis de ceux qui pensent que les bons citoyens dans leur belles pièces sérieuses peuvent inspirer, entretenir et fortifier l’amour pour la patrie et des sentiments de courage, de justice, et de bienfaisance ; je crois de même que dans leurs pièces comiques ils peuvent inspirer du dégoût et de l’aversion pour la mollesse, pour la poltronnerie, pour le métier de joueur, pour le luxe de la table, pour les dépenses de pure vanité, pour le caractère impatient, chicaneur, avaricieux, flatteur, indiscret, hypocrite, menteur, misanthrope, médisant, en un mot pour tous les excès qui font souffrir les autres et qui rendent les vicieux fâcheux et désagréables pour plusieurs des personnes avec qui ils ont à vivre. […] La seconde, d’inspirer du mépris pour la mollesse, pour la fainéantise, et pour les excès du luxe et de la volupté, qui diminuent le bonheur de leurs pareils ; la troisième, c’est de jeter du ridicule sur toutes nos petites vanités et sur nos affectations lorsqu’elles ne tendent qu’à nous donner des distinctions qui ne sont d’aucune utilité pour le Public. […] Ainsi avec un des grands mobiles des hommes qui est le désir de la distinction, le Poète pourra en divertissant les spectateurs augmenter considérablement l’empire de la vertu et de la gloire aux dépens de l’empire de la mollesse et de la vanité, la perte de l’un sera l’augmentation de l’autre, et à dire la vérité, les hommes n’ont rien de solide et de durable à opposer au furieux désir des plaisirs des sens si nuisibles dans leur excès à la société, que le ressort ou le désir des plaisirs de la distinction la plus précieuse qui tend toujours au plus grand bonheur de cette même société. Quand les poètes comiques auront pris soin de jeter de la haine, du mépris, ou du ridicule sur les crimes, sur les vices et sur les défauts que produit ou l’injustice, ou la paresse, ou la vanité, il sera bien plus facile aux Poètes sérieux de mettre en œuvre à l’égard des spectateurs le ressort ou le motif de la belle gloire ; car il faut bien que l’homme marche vers quelque espèce de gloire, ou de distinction entre ses pareils ; c’est son penchant naturel, c’est un de ses grands plaisirs de se sentir distingué parmi ceux avec qui il a à vivre ; ainsi quand les bons Comiques nous auront bien dégoûtés de toutes les sortes de distinctions qui gâtent le commerce, nous marcherons naturellement vers la distinction vertueuse qui naît de l’acquisition des talents et de la pratique des vertus qui rendent le commerce agréable. […] Les spectacles peuvent donc être utiles et agréables, mais il faut qu’ils soient dirigés par une compagnie perpétuelle composée de gens habiles, et surtout de bons politiques sous les ordres du Magistrat de Police, et qu’ils tendent toujours à rendre dans la société la vertu respectable et aimable, les vices honteux et odieux, la vanité méprisable et ridicule ; je demande enfin pour Membres de cette compagnie des connaisseurs délicats, qui sentent combien les bonnes mœurs sont importantes pour augmenter le bonheur de la nation.