Les Gouverneurs & les Précepteurs des Princes ont eu communément les mêmes idées sur les spectacles, quoiqu’ils ayent tous été obligés, selon l’usage de la Cour, d’y laisser aller & même d’y mener leurs élèves. […] Ce régal fut préparé dans le vaste Réfectoire de l’Abbaye de Salsines, magnifique maison à une lieue de Namur ; les Officiers du Régiment furent seuls admis, on refusa les Seigneurs de la Cour, on n’y voulut que les Dames : les Officiers furent assis, & les Dames les servoient autour des tables de la manière la plus galante, comme on voit dans l’Odissée d’Homère les Princesses & les Nymphes servir les hôtes : usage que Fenelon a cru devoir conserver dans l’Isle de Calipso en faveur de Télémaque, peut-être en faveur de Madame Maintenon : chaque Officier en entrant alla lui baiser la main comme à la Reine assise sur un fauteuil, elle présentoit sa main de la meilleure grâce, elle y étaloit tous ses charmes, surtout ceux de son esprit qui l’emportoient beaucoup sur sa beauté. […] Cet ouvrage est écrit d’un style aisé, libre, simple, d’un homme de Cour que donne l’usage du grand monde plus que l’étude, le travail & même le génie, mais plein de traits hardis & mordans contre tout ce qu’il y a de respectable : le premier y donne du poids, mais le second les décrédite, ils sont préférables à quantité d’autres Mémoires qui ne sont que des romans, il y a réduit en système la morale lubrique ; les principes des actions humaines ne sont pas, selon lui, le vice ou la vertu, la tentation ou la grâce, le bon ou le mauvais usage de la liberté, ce sont les appetits naturels ; les passions ou la raison, le tempérament ou la fortune & l’habitude ; un vrai méchanisme ; distinction peu philosophique, les passions ne sont que les appetits naturels portés à l’excès ; l’un & l’autre effet naturel du tempérament, c’est à quoi il attribue tout ce qui s’est passé dans les événemens qu’il raconte, il suppose dans la Cour de France le système suivi du despotisme absolu dont il attribue le principe à Henri IV, malgré sa popularité souvent poussé trop loin par Richelieu, par Mazarin, & enfin consommé par les Colberts & Louvois & autres Ministres de Louis XIV pendant un long règne qui y a accoutumé pour toujours un peuple foible & docile. […] Les mêmes loix du Digeste décident, que si quelqu’un a son logement dans une maison, il ne peut y tenir des personnes de mauvaise vie ; qu’on peut renvoyer, même avant terme, une femme locataire qui vit dans la débauche ; qu’on peut même la faire chasser de son voisinage ; qu’on ne peut vendre une esclave pour en faire cet usage, &c. […] L’Ambassadeur Turc étant à Vienne fut mené à la comédie, on représentoit en Italien un opéra bouffon où il n’entendoit rien, mais il parut très satisfait de la danse & de la musique : au second acte, l’heure de la prière ordonnée par l’Alcoran étant venue, l’Ambassadeur & toute sa suite s’acquittèrent de ce devoir sans sortir de leurs loges, se mirent à genoux, se prosternèrent, se levèrent plusieurs fois, levèrent leurs mains au ciel, les portèrent sur leur tête selon les rits & les usages de leur Religion ; ils tâchent dans quelque pays qu’ils soient, de s’orienter & de se tourner du côté de la Mecque.