Mais si dans votre empire il y avoit un divertissement quelconque qui dégénérât en licence, qui, au lieu de soulager, de fortifier les hommes dans leurs travaux, envoyât dans le cœur, dans la fortune des citoyens des malheurs multipliés, propres par leur concours et leur fatale combinaison à produire un jour la ruine générale de l’Etat, à le donner en spectacle de commisération aux nations voisines, à le présenter comme une proie assurée à l’invasion des peuples barbares ; une récréation de ce genre ne pourroit être considérée que comme une calamité publique. […] On verroit une multitude de misérables se plaindre que le théâtre a desséché tous les cœurs, que les larmes de la commisération sont taries et ne coulent plus que pour les malheurs romanesques des héros du libertinage ; que tandis qu’une seule déclamation mimique produit à un saltimbanque des sommes immenses11, de pauvres artisans courbés sous le travail le plus rude, ne gagnent point de quoi prévenir l’opprobre de la mendicité ; que tout ce que la charité distribuoit autrefois dans les repaires obscurs où l’indigence se cachoit sous la honte, est absorbé aujourd’hui dans le tourbillon des farces12. […] Ne permettez pas qu’une destructive frivolité abolisse dans nos villes, dans les campagnes qui les environnent, ces retraites champêtres et solitaires où par des promenades et des divertissemens honnêtes se nourrit l’esprit de société et d’amitié, où la pensée trouve un asyle ; où l’homme se repose de ses travaux ; se remet de l’étourdissement des affaires, se détrompe des illusions essuyées dans le commerce du monde22 ; où l’air infecté et réellement létifère des spectacles23 est remplacé par un air bien-faisant, travaillé des mains de la nature ; où au lieu des émanations morbifiques de toute espèce concentrées dans un espace étroit24, on ne respire que le parfum des plantes salutaires. […] Quelle justesse de rapports avec ces qualités n’a pas la vie de comédien, qu’une farce suffit pour enrichir ; dont le travail le plus pénible se réduit à quelques récits d’amours ou de fureurs, et dont les mœurs ne se font remarquer, que lorsqu’elles tiennent encore quelque chose de la décence !