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45. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE VI. » pp. 98-114

La Tragédie vous a toujours paru comme une école raisonnable de la vertu, & moi je prétends au contraire qu’elle donne au vice des leçons intéressantes, qu’on y succe un poison d’autant plus funeste, que l’on s’en défie moins ; on a sçu le deguiser sous les apparences d’un aliment très-utile. […] Cet Auteur fait parler ainsi Pauline à sa suivante à l’occasion de Severe : c’est dans la Tragédie de Polieucte. […] Toute la Scene roule ordinairement sur une intrigue amoureuse : le Héros s’expose aux plus grands dangers pour la faire réussir, & quand l’obstacle ne céde point à la passion, il se livre au désespoir, la mort qu’il se donne est le dénouement de la Tragédie. […] La vengeance n’est pas moins opposée à l’esprit du Christianisme, que l’orgueil & l’amour profane, & ce vice est assuré, dit Tertulien1, de faire fortune en une Tragédie ; on couvre d’oprobres sur le Théâtre, la patience qui supporte les injures, on y loue une fausse bravoure qui ne sçait point pardonner. […] Je suis surpris, Mademoiselle, que Lopès de Vega dont Corneille n’étoit que le singe en cette Tragédie comme en plusieurs autres, n’ait pas été brûlé en Espagne, ou du moins qu’on ne l’ait pas fait pourrir dans les prisons de l’Inquisition ; il faut que ce Tribunal ne soit pas aussi sevére qu’on nous le fait entendre.

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