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36. (1702) Lettre de M. l’Abbé de Bellegarde, à une Dame de la Cour. Lettre de Lettres curieuses de littérature et de morale « LETTRE. de M. l’Abbé de Bellegarde, à une Dame de la Cour, qui lui avait demandé quelques réflexions sur les pièces de Théâtre. » pp. 312-410

Si vous le voulez, Madame, je vous indiquerai les livres que j’ai lus sur cette matière, afin que s’il vous en tombe quelqu’un entre les mains, vous puissiez voir les choses dans leur source. […] Le Poète ne doit pas donner à entendre, que son Héros est tombé dans le malheur, pour être sujet à quelque imperfection ; mais pour avoir fait quelque faute, qui mérite d’être punie. […] Pour exciter ce sentiment dans le cœur du spectateur, il faut que le Poète amène avec art les aventures de son Héros ; et que la perfidie de ceux qui lui sont unis par les liens du sang, de l’amitié, ou de l’amour, le fassent tomber dans le malheur. […] Un homme féroce et sanguinaire se repaît de spectacles cruels ; les plaintes, les cris, les gémissements des malheureux ne sauraient l’attendrir ; il n’est point touché des maux qu’il fait souffrir aux autres, et il goûte une joie barbare, quand il voit les autres tomber dans de grandes infortunes. […] Qu’il ne choisisse pas un homme vicieux pour le Héros de sa pièce ; car l’on n’est que médiocrement touché de voir un méchant homme tomber dans de grands malheurs, qu’il n’a que trop mérités par ses crimes ; ou si la fortune le favorise, on sent un secret dépit de voir le vice récompensé par de continuelles prospérités.

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