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101. (1684) Sixiéme discours. Des Comedies [Discours sur les sujets les plus ordinaires du monde. Premiere partie] « Sixiéme Discours. Des Comedies. » pp. 279-325

Votre esprit est battu de toutes parts, vos yeux, & vos oreilles sont ou verts à tous les traits que l’impudicité & l’impieté lancent dans le plus intime de vos ames ; vous estes environné d’abysmes ; tous les Acteurs, toute l’assemblée s’efforcent de vous y précipiter, & je pourois croire que vous n’estes point blessé, & que vous ne tombez point ? […] Jerusalem est tombée, le Royaume de Juda est détruit ; malheur à leurs ames, parce que Dieu leur a rendu une partie des maux qu’ils ont merité par leurs pechez, que par les mains d’un tyran il s’est vangé en partie de la revolte & des outrages de ce peuple infidelle, & qu’il reserve aux ames de ces perfides des châtimens plus cruels que ces desolations publiques, dont elles sont les principales causes par leurs pechez. […] Si vous recherchez dans les écrits des Peres, & dans les fidelles Historiens la source de ces effroyables disgraces, ils vous apprendront que la temperance des barbares a vaincu les delices criminelles de l’Asie ; que la chasteté des barbares a triomphé de l’impudicité des Africains ; que les vertus humaines & imparfaites des barbares l’ont emporté sur les vices énormes de ceux qui avoient le front de se nommer Chretiens, & que ces grandes parties du monde ne sont tombées sous un joug si pesant, que parce qu’elles ont secoüé le joug du Ciel, ce joug qui ne les chargeoit que pour les élever à la joüissance d’un bon-heur eternel, comme les pompes ne pressent l’eau que pour la faire monter. Une partie de l’Europe, la Grece, la Macedoine, plusieurs des plus belles Parties du Septentrion ne sont tombées dans le mesme malheur, que pour avoir suivy la mesme route. […] Tertullien veut seulement enseigner aux Fidelles qu’il est tres-difficile que dans la multitude des mouvemens que les Comedies ont coûtume de causer, il n’y en ait de criminels ; que le saint Esprit, blessé par des agitations si differentes, n’abandonne ceux qui n’ont pas assez de soin de le garder, qu’après avoir esté nous-mesmes agitez par des mouvemens dont la qualité est si difficile à reconnoistre, nous ne tombions où nostre méchante inclination nous pousse, comme les pailles & les autres matieres legeres, qui ayans esté quelque temps balancées par les vents, tombent enfin, parce qu’elles ont assez de pesanteur pour ne pouvoir pas se soûtenir elles-mesmes : pourveu que ce ne soit pas déja une lourde chutte de s’estre exposé à tomber en venant en des lieux où l’on sçavoit bien que l’innocence seroit en grand danger, & en faisant moins d’estat du salut que de la vie & de la fortune, qu’on ne voudroit pas exposer pour ces especes de plaisirs.

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