Je reverrai Claironk maîtresse de la Scène En longs habits de deuil sous les traits de Chimène Contre un cher ennemi, tendre objet de ses pleurs, Craindre de décider par ses vives douleurs La Justice d’un Roi qui l’aime, et qui balance, Ou Camille en fureur respirant la vengeance, Contre les jours d’un frère en ses criminels vœux Soulever la Nature, et l’Enfer, et les Cieux ; D’un laurier tout sanglant lui reprocher la gloire, Et le forcer enfin à souiller sa victoire. […] Mais tout change ; et je vois trompant leurs surveillants, A l’aide d’un Valet, intriguer deux amants ; Sous le masque des Ris, la fine Dangevilleq , Jouer d’après nature, et la Cour et la Ville ; Tantôt d’un jeune objet servant la passion, Ecarter un témoin qui n’est point de saison ; L’instant d’après, Coquette ou Bourgeoise à la mode, D’un mari tout uni faire un époux commode ; Ou lorgnant un Galant, retirée à l’écart, Pour lui rendre un poulet, minauder avec art ; Soubrette inimitable, adroite, gaie, unie, Pour la peindre en trois mots, rivale de Thalier, Cette immortelle Actrice est seule sans défauts ; Dumesnil a ses jours, et Grandvals des égaux ; Là, j’aperçois Gaussin t, cette charmante Actrice Déguisée en Agnès, d’un air simple et novice, Exprimer ses désirs par sa tendre langueur, Et peindre dans ses yeux les miracles du cœur ; Retrouver dans l’Oracle une mine enfantine, Ou du Comte d’Olban triompher dans Nanineu. […] Le lendemain, je vole à ce Palais Magique,3 Qu’anime encor Lulli de sa tendre Musique, Un sceptre de cristal en ses débiles mains, L’Amour dans ces beaux lieux gouverne les humains ; Respirant sous ces lois, on y voit cent Prêtresses Annoncer ces faveurs, et vanter leurs faiblesses. […] Tout change en un instant ; la nuit fait place au jour ; Mortels, reconnaissez le pouvoir de l’Amour : Le Palais s’envolant disparaît dans la nue, Un Parterre aussitôt le remplace à ma vue ; Du grand Servandoniab magique illusion, Effet de sa brillante imagination : Tout n’est qu’enchantement ; sous l’habit de Colette Arnoud subjugue Mars : le son de la trompette Rappelle en vain ce Dieu dans les champs de l’honneur ; Plus content, plus heureux de posséder son cœur, Qu’il n’était autrefois jaloux de la victoire, Pour la suivre il renonce aux hasards, à la gloire ; Et livrant sans danger, de plus tendres combats, Il met tout son bonheur à mourir dans ses bras.