Vous condamneriez ces tableaux sans doute : mais comme il est utile à la Constitution Anglaise que les Anglais se croient les premiers hommes du monde, et comme le maintien de leurs lois exige un plus grand nombre de véritables Citoyens, on a grand soin pour leur inspirer le Patriotisme, de leur dire qu’ils ressemblent aux Romains, et que personne ne leur ressemble : il en résulte que beaucoup d’entre eux ont réellement les vertus Romaines, mais qu’ils en ont en même temps les préjugés. […] Je ne sais si la bonne ou mauvaise opinion qu’on prendrait du cœur d’un Peuple ne serait pas fondée légitimement sur le goût de ses spectacles, il est certain, à ce qu’il me semble, que celui qui se laisse toucher d’horreur ou de pitié par des tableaux moins effrayants et moins atroces sera celui en faveur duquel on doit présumer qu’il est plus humain, plus vertueux, plus sensible, et par conséquent plus facile à corriger de ses défauts, puisqu’il faut des ressorts moins violents pour l’émouvoir et le toucher. […] Les ridicules, les défauts des mœurs qu’il a corrigés ne subsistant plus, il ne serait pas étonnant qu’on fût moins frappé de ses tableaux puisque les originaux en sont perdus. […] Pourquoi vouloir en attribuer tout l’honneur à la politique plutôt qu’à ses remords, remords excités en lui par un tableau frappant de la misère d’autrui ? […] La charge ne consiste effectivement que dans le laps de temps dont la brièveté ne laisse pas supposer l’assemblage actuel d’un si grand nombre d’incidents, mais elle n’est pas capable d’altérer la vérité des traits ; c’est au contraire l’assemblage de ces traits vifs et vrais qui rend le tableau plus frappant, et qui force le spectateur d’apercevoir les inconvénients du Vice ou du ridicule que l’on joue : comment donc voulez-vous que cette manière d’instruire soit capable d’entretenir le Vice au lieu de le corriger et que le cœur des méchants en tire parti ?