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5. (1764) De l’Imitation théatrale ; essai tiré des dialogues de Platon : par M. J. J. Rousseau, de Genéve pp. -47

Hors d’état de rendre raison d’aucune des choses qui sont dans son tableau, il nous abuse doublement par ses imitations, soit en nous offrant une apparence vague & trompeuse, dont ni lui ni nous ne sçaurions distinguer l’erreur ; soit en employant des mesures fausses pour produire cette apparence, c’est-à-dire, en altérant toutes les véritables dimensions selon les loix de la perspective : de sorte que, si le sens du spectateur ne prend pas le change & se borne à voir le tableau tel qu’il est, il se trompera sur tous les rapports des choses qu’on lui présente, ou les trouvera tous faux. […] L’imitateur suit l’ouvrier dont il copie l’ouvrage, l’Ouvrier suit l’Artiste qui sçait s’en servir, & ce dernier seul apprécie également la chose & son imitation ; ce qui confirme que les tableaux du Poëte & du Peintre n’occupent que la troisième place après le premier modèle ou la vérité. […] Ainsi l’art d’imiter, vil par sa nature & par la faculté de l’ame sur laquelle il agit, ne peut que l’être encore par ses productions, du moins quant au sens matériel qui nous fait juger des tableaux du Peintre. […] Qui ne loue pas sérieusement l’art de l’Auteur, & ne le regarde pas comme un grand Poëte, à cause de l’expression qu’il donne à ses tableaux, & des affections qu’il nous communique ? […] Par une analogie assez naturelle, ces réflexions pourroient en exciter d’autres au sujet de la peinture sur le ton d’un tableau, sur l’accord des couleurs, sur certaines parties du dessein où il entre peut-être plus d’arbitraire qu’on ne pense, & où l’imitation même peut avoir des regles de convention.

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