Cette dissolution des mœurs publiques, qui avait déjà dans des rangs supérieurs un ancien foyer indicatif aussi de la route que pouvaient suivre les objets de cette autre leçon violente, est descendue, par la voie des spectacles, jusque dans les derniers rangs de la société. […] Je suis persuadé que si cet écrivain justement célèbre pouvait revenir parmi nous et comparer son temps avec celui qui l’a suivi jusqu’à l’époque actuelle, il avouerait lui-même qu’il s’est trompé ; que non-seulement il n’a rien fait d’utile pour les mœurs, mais qu’ayant frappé leurs ennemis inconsidérément, il a tué les bons au lieu de corriger les méchants. […] Il ferait lui-même sentir leur inconséquence à beaucoup de ses admirateurs, aussi intolérants qu’aveugles, qui vantent sans restriction et regrettent le fouet de sa critique, lorsqu’ils ne voient aucun des bons effets par où il doit être principalement apprécié ; lorsqu’ils n’aperçoivent au contraire partout où il a frappé que désordres, que masques jetés, freins rompus, jougs secoués ; lorsqu’ils approuvent tous les jours les censures les plus fortes, les tableaux les plus hideux, inouïs des temps qui ont suivi ce grand moyen de correction et de perfectionnement ; enfin, lorsqu’ils applaudissent, avec transport, et sur la scène même où ils font éclater les témoignages constants de leur reconnaissance envers le remède, cette publication de l’effrayante augmentation du mal : Et les vices d’autrefois sont les mœurs d’aujourd’hui ! […] Mais vous, qui seriez fâché d’être renommé par le mal que vous auriez fait, à la manière des conquérants insensés et féroces, de ces grands ravageurs de campagnes et abatteurs de murailles, qui préférez un éternel oubli à une immortalité funeste ; reconnaissant la sagesse de cette maxime : Nisi utile est quod facimus, stulta est gloria , vous devez prendre dans le cas présent, pour éviter les mauvais résultats prévus, une autre voie qui vous conduira plus naturellement à votre but ; celle qu’ont suivie dans tous les temps les plus profonds moralistes qui ont éclairé leurs contemporains, celle unique que notre sage Fénélon a suivie aussi et qu’il suivrait probablement encore aujourd’hui s’il vivait. […] La plus forte preuve qu’une verve irrésistible entraînait notre premier poète comique, et ne lui laissait pas toute liberté de réflexion et de jugement, c’est qu’il n’a pas pu s’apercevoir, avant de composer la comédie du Misantrope, qu’il donnait personnellement le plus sensible exemple de misantropie ; qu’il avait lui-même le caractère qu’il allait jouer, qu’Alceste suivait ses traces, et ne les suivait même que de loin.