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26. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — QUATRIEME PARTIE. — Tragédies à corriger. » pp. 180-233

Je n’appelle pas de ce nom la mort ou la punition d’un homme : le personnage qui forme le nœud de l’action, qui la conduit et qui la termine, est celui, selon moi, sur qui la catastrophe tombe ; soit qu’il en périsse, soit qu’il en reste chargé d’opprobre, ou couronné de gloire, suivant que l’action l’exige ; je m’explique. […] Si Britannicus meurt, quoi qu’innocent ; c’est pour servir au caractère de Néron, et le faire détester davantage : Si Géta est assassiné, sans l’avoir mérité ; c’est pour mieux peindre la cruauté de son frère : si Hyppolite périt ; c’est pour charger le crime de Phèdre : ainsi ce n’est pas sur les personnages qui meurent que tombe ce qu’on appelle la catastrophe ; mais sur ceux qui commencent et qui conduisent l’action à une bonne ou à une mauvaise fin, et qui excitent le plaisir ou l’indignation des Spectateurs suivant les circonstances du sujet. […] Les Modernes pourraient critiquer l’Auteur de la Tragédie de Géta ; parce que ce Prince, ainsi que Justine sa maîtresse, sont représentés trop vertueux, sans donner lieu à la compassion des Spectateurs de s’affaiblir par la vue de quelque défaut, suivant qu’ils soutiennent que les Anciens ont fait : je pense, pour moi, que les Anciens n’ont jamais songé à diminuer la compassion des Spectateurs ; car ce serait avoir entrepris de faire violence à la nature, chose qu’on ne peut leur reprocher. […] Je conclus donc que les personnages qui meurent peuvent être innocents, et que les Spectateurs peuvent s’en affliger tant qu’ils veulent ; pourvu qu’à côté de la compassion marche toujours, suivant le besoin, ou l’horreur du vice, ou l’amour de la vertu ; et c’est l’effet de ce sentiment, qui constitue la catastrophe. […] Dans le temps qu’Ulysse entreprend de se venger par la mort d’Eurimaque et de ses partisans, Télémaque, contre toute raison et malgré les Loix de son devoir, cherche à sauver le père de sa maîtresse ; et, parce qu’on ne pouvait pas laisser vivre Eurimaque, suivant l’histoire et suivant le bon sens, le Poète feint qu’il se noie en montant sur un esquif pour aller gagner ses vaisseaux.

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