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19. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — CINQUIEME PARTIE. — Tragédies à rejeter. » pp. 235-265

Racine, dans la Préface de cette Tragédie, nous dit : « Que ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une Tragédie ; qu’il suffit que l’action en soit grande, que les Acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse, majestueuse qui fait tout le plaisir de la Tragédie. » Je ne crois pas que l’on puisse disconvenir de la vérité de ce principe ; mais, soit dit avec tout le respect dont je suis pénétré pour ce grand homme, ne pourrait-on pas demander si, dans sa Tragédie, on trouve tout ce qu’il juge lui-même être nécessaire dans une Pièce où il n’y a ni mort, ni sang répandu ? […] En faveur des grandes beautés que l’on trouve dans cette Tragédie, je voulais la mettre au rang de celles qui, avec des corrections, peuvent rester au Théâtre : mais pour la corriger, je n’ai trouvé que deux moyens également difficiles, ou il fallait ne faire jamais paraître Cléopâtre sur la Scène, ou retrancher tout ce qui concerne les amours de César avec Cléopâtre : mais, outre que c’était là une correction trop considérable, elle n’aurait peut-être pas suffi pour rendre cette Pièce soutenable sur le Théâtre de la Réformation. […] Les avances qu’Elisabeth avait faites au Comte, à ce qu’elle dit elle-même, suffisaient pour bannir de l’âme du Comte toute peur et toute contrainte, en l’engageant à ne point se gêner : cependant, l’effet de cette passion devait se borner à se voir et à soupirer, et le Comte d’Essex, content d’adorer Elisabeth, d’en être charmé, de la plaindre et de se plaindre lui-même, ne pouvait, sans l’offenser, se permettre rien de plus.

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