/ 334
17. (1758) Lettre à M. Rousseau pp. 1-42

Avez-vous toujours attendu le calme du sang, le retour de la circulation, pour porter sur les hommes ces yeux qui verraient si bien, si l’esprit, les connaissances et la réflexion suffisaient, dans tous les cas, pour faire l’homme que vous croyez être, quand vous nous condamnez ? […] Je confesse que l’artifice, la vanité, le despotisme, ont un peu altéré, dans ces souveraines, l’innocence de leur domination ; mais nous n’aurions pas ce reproche à leur faire, si nous nous étions conduits avec elles de façon à ne pas mériter nous-mêmes leurs reproches : l’amour n’a pas suffi pour nous rendre heureux ; le plaisir nous a rendu ingrats, la douceur nous a rendu téméraires ; nous avons voulu régner à notre tour ; ont-elles dû consentir à recevoir des fers ? […] Toutes ces autorités suffisent, Monsieur, pour prouver que les femmes sont très capables de sentir, et plus capables d’exprimer. Mais les preuves ne suffisent pas pour convaincre un homme qui a des raisons de chérir son erreur. […] Ce n’étaient pas seulement de belles femmes, des femmes tendres ; le plaisir et la beauté n’eussent pas suffi pour séduire un homme tel que Zima : les vertus s’unissaient aux attraits ; l’esprit au sentiment ; les graces au génie, au goût, à la pénétration, aux qualités les plus touchantes et les plus rares, et formaient de ces tableaux qui forcent l’esprit à croire les prodiges, et le cœur à les adorer.

/ 334