Pour moi qui conviens avec vous que le nôtre est beaucoup plus épuré, je crois qu’il ne l’est pas encore assez, et qu’on y trouvera bien des choses à réformer et à condamner ; et mon sentiment n’est fondé que sur les lumières que j’en ai tirées par les moyens dont je me suis servi comme vous, mais avec un succès bien différent. […] Ceux que vous appelez réformateurs, page 45, par une raillerie qui leur est fort agréable et fort honorable ont raison de vous dire, que quoiqu’on ne voit plus sur la Scène les licences des Anciens, il reste pourtant toujours quelque chose de cette première corruption déguisée sous de plus beaux noms, qu’on ne joue aujourd’hui aucune Pièce où il n’y ait quelque intrigue d’amour, où les passions ne soient dans tout leur éclat, où l’on ne parle d’ambition, de haine, de jalousie, et de vengeance ; ils pourraient ajouter que la plus belle Pièce est celle où 1’amour est traité d’une manière plus délicate, plus tendre et plus passionnée ; et que sans cela quelque belle qu’elle soit d’ailleurs, elle n’a d’autres succès que celui de dégoûter la plupart des spectateurs, et de faire mourir de faim les Comédiens ; que toute la différence de la beauté des Pièces ne consiste pas tant dans la beauté des Vers, mais dans les diverses manières de traiter l’amour, soit qu’on le fasse servir à quelque autre passion, pour la relever et lui donner de l’éclat, ou bien qu’on représente l’amour comme la passion qui domine dans le cœur.