Le Misanthrope dont nous venons de parler, n’est pas une Pièce où cette passion paraisse avec les défauts contre lesquels je me suis si fort révolté ; les Amants de la Coquette aiment plutôt en petits Maîtres et en étourdis, qu’en hommes véritablement amoureux : Célimène fait son métier, et le Misanthrope, quoique passionné, traite l’amour suivant son caractère qui influe beaucoup sur sa passion, ce que le grand Molière n’a pas négligé en travaillant : je cherchais donc dans une Comédie un de ces excès de la passion d’amour qui portent les Amants à tout tenter pour se satisfaire : qui les rendent aveugles : en un mot un de ces excès qui font regarder les Amants comme des insensés, et qui leur attirent tout à la fois l’indignation et la compassion des Spectateurs, et je l’ai trouvé à la fin. […] Le Chevalier est puni en ce que n’épousant pas Angélique, il est réduit à une indigence extrême ; le Spectateur cependant peut soupçonner que la punition du Joueur ne sera peut-être que momentanée ; qu’il peut gagner considérablement le lendemain, et trouver encore quelque jeune personne qui ait la faiblesse de l’épouser et qui le rende maître d’une riche dot. […] Lorsqu’on met sur le Théâtre la passion d’amour parvenue à de tels excès, c’est, à mon avis, une grande leçon pour les Spectateurs. […] A l’occasion de cet obstacle Molière donne de grandes leçons aux Spectateurs. […] Malheureusement les Poètes ont pris un autre chemin, qui sans contredit s’éloigne infiniment du but de la farce, et qui cependant réussit quelquefois, parce qu’ordinairement leurs Pièces sont pleines de traits de médisance sous le nom de critique ; Et par la raison que la passion d’amour la plus irrégulière plaît sur le Théâtre aux Spectateurs corrompus, de même la médisance ou la satyre y et applaudie et y fait rire, à cause de la méchanceté du cœur humain qui n’aime que trop à entendre déchirer son prochain.