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23. (1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — 5. SIECLE. » pp. 147-179

J'avais en même temps une passion violente pour les Spectacles du Théâtre, qui étaient pleins des images de mes misères, et des flammes amoureuses qui entretenaient le feu qui me dévorait: mais quel est ce motif qui fait que les hommes y courent avec tant d'ardeur, et qu'ils veulent ressentir de la tristesse en regardant des choses funestes et tragiques qu'ils ne voudraient pas néanmoins souffrir ? […] Et moi au contraire j'étais alors si misérable, que j'aimais à être touché de quelque douleur, et en cherchais des sujets, n'y ayant aucunes actions des Comédiens qui me plussent tant, et qui me charmassent davantage, que lors qu'ils me tiraient des larmes des yeux par la représentation de quelques malheurs étrangers et fabuleux qu'ils représentaient sur le Théâtre : Et faut-il s'en étonner, puisqu'étant alors une brebis malheureuse qui m'étais égarée en quittant votre troupeau, parce que je ne pouvais souffrir votre conduite, je me trouvais comme tout couvert de gale ? Voilà d'où procédait cet amour que j'avais pour les douleurs, lequel toutefois n'était pas tel que j'eusse désiré qu'elles eussent passé plus avant dans mon cœur et dans mon âme : car je n'eusse pas aimé à souffrir les choses que j'aimais à regarder ; mais j'étais bien aise que le récit et la représentation qui s'en faisait devant moi, m'égratignât un peu la peau, pour le dire ainsi ; quoi qu'en suite ; comme il arrive à ceux qui se grattent avec les ongles ; cette satisfaction passagère me causât une enfleure pleine d'inflammation d'où sortait du sang corrompu et de la boue. […] Quant à ce que les Païens se plaignent que le Christianisme a diminué la félicité du monde ; s'ils lisent les livres de leurs Philosophes, qui reprennent ces choses dont ils sont privés maintenant malgré eux, ils trouveront que cela tourne à la louange de la Religion Chrétienne ; car quelle diminution souffrent-ils de leur félicité, sinon à l'égard des choses dont ils faisaient un très mauvais usage, s'en servant pour offenser leur Créateur ? […] Nous nous imaginons peut-être qu'il nous a fait des leçons d'impiété, alors qu'il vivait, et qu'il souffrait tant de peines et tant d'injures pour nous ?

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