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295. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre treizieme « Réflexions morales, politiques, historiques,et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV.  » pp. 113-155

Je ne prétends pas pénétrer les mysteres du cabinet d’Espagne, mais il faut convenir que sa mere ne l’avoit pas élevée à l’Espagnole, & ne lui prépara pas un sort heureux en lui donnant ces goûts & ces manieres, qu’elle ne suivit que trop. […] Cependant cette Princesse ingrate favorisa le Calvinisme, causa les guerres de religion, procura tous les édits qui donnoient la liberté de conscience, fit tenir malgré le Pape Pie IV le Colloque de Poissi, où la religion fut mise en probleme, & comme si le Calvinisme en fut sorti triomphant, elle lui fit deux jours après donner la liberté de conscience. […] En voici une singuliere : Elle festina les Ambassadeurs Polonois fort superbement dans les Tuileries ; après soupé, dans une belle salle, faite à portée, environnée d’une infinité de flambeaux, elle leur présenta le plus beau ballet qui fut jamais fait au monde, composé de seize Dames & Damoiselles, des plus belles, & mieux apprises de toutes, qui comparurent dans un grand roc argenté, assises dans des niches, en forme de nuées, représentant les seize provinces de France, avec la musique la plus mélodieuse qu’on eût pu ouïr ; & après avoir fait le tour de la sale pour parade, & s’être bien fait voir, elles descendirent du roc, & s’étant mises en forme d’un bataillon bisarrement inventé, & une trentaine de violons sonnant un air de guerre ; elles marcherent sous l’air de ces violons, & par une belle cadence, sans en sortir jamais, s’approcherent & s’arrêterent un peu devant leurs Majestés ; puis danserent leur ballet, si bizarrement inventé, & partant de leurs contours & détours, fuites, entrelassemens & mélanges, affrontemens & arrêts, qu’aucune Dame ne faillit jamais, retourner à son tour & à son rang.

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