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207. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre IV. Christine de Suede. » pp. 111-153

C’étoit une société de débauchés, sa maison étoit une espèce de serrail d’hommes ; elle avoit à Stocholm des femmes auprès d’elle, c’étoient des Officières en charge, en quittant la Suède elle les congédia toutes, & ne voulut plus avoir que des hommes ; il est très-indécent que des femmes ayent des hommes pour les servir, comme il le seroit aux hommes de se faire servir par des femmes, des Baigneurs, des Tailleurs, des Valets de chambre, des hommes à leurs toilettes, & c’est un des plus grands désordres de Suède ; mais il l’est infiniment davantage de n’avoir que des hommes, les femmes le plus libertines, les Actrices ont des femmes de chambre pour le service ordinaire, mais où a-t-on vu qu’une Princesse n’en eut aucune & se fasse lever, coucher, habiller, déshabiller par des hommes ? […] La société des libertins lui étoit si agréable, que de toutes les femmes les plus distinguées, elle ne voulut aller voir que Ninon Lenclos, cette fameuse courtisanne, cette célèbre épicurienne dont l’esprit, les grâces, la réputation pourroient mériter des éloges, si le vice en laissoit mériter, ce fut la seule femme qu’elle parut estimer, quoique peut-être la moins estimable, & celle qui avoit fait le plus de mal dans le monde ; elle se ressembloient en bien de choses ; toutes d’eux s’habilloient en homme, toutes deux étoient sans religion, & parloient de tout avec la plus grande liberté, & vivoient dans la plus grande indépendance, la sympathie n’étoit pas surprenante ; mais Ninon avoit plus d’esprit, de décence, de politesse ; Ninon eût su être Reine.

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