L’on sent bien que, quelles que soient les mœurs d’un Petit-maître & ceux de la Coquette qui le subjugue, ils ne trouveraient pas grand plaisir l’un & l’autre, à répéter des couplets indécens, mais pourtant mille fois au-dessous du libre de leurs conversations particulières & de leurs Billets-doux : c’est du tendre qui les charmera : ils se passioneront en le chantant : c’est un sentiment inéprouvé ; c’est du neuf pour eux ; ils en sont enchantés : sans rien sentir, ils soupirent, & par des mouvemens passionés, ils mentent, avec une volupté qu’eux seuls peuvent apprécier, le sentiment qu’ils ne connaissent pas. […] Je sais qu’au-delà des monts, on a de beaux Opéras, dont on se soucie peu, & qui ne servent que de carcasse pour monter une belle Musique : c’est le chant seul qui attire le Spectateur ; le sens n’est rien ; on n’entend dans les chef-d’œuvres de Métastase que des syllabes sonores. […] Remarquez encore ici en passant, que ce genre de Spectacle, plus contraire sans doute au Christianisme que la belle Comédie, n’est pas attaqué par les Misomimes avec le même acharnement : ils le traitent d’amusement permis : c’est ainsi qu’à Rome, à côté de la sage & modeste Comédie des Roscius & des Virginius, on vit les licencieuses Atellanes, qui seules ne deshonoraient pas leurs Acteurs ; non-seulement la Jeunesse, mais toute la Ville se passionna pour ce genre, qui corrompit enfin la bonne Comédie ; craignons le même sort. […] Mais surtout qu’on n’expose pas au mépris des efféminés, l’homme… l’homme qui peut-être mérite seul encore ce nom glorieux. […] Ajoûtons que le Vaudeville étant né en France, un Spectacle animé par lui seul doit nous plaire, dès que les Drames seront faits avec intelligence.