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34. (1764) De l’Imitation théatrale ; essai tiré des dialogues de Platon : par M. J. J. Rousseau, de Genéve pp. -47

Borné par son art à ce seul objet, cet Artiste ne sçait faire que son Palais ou d’autres Palais semblables : mais il y en a de bien plus universels, qui font tout ce que peut exécuter au monde quelque ouvrier que ce soit, tout ce que produit la Nature, tout ce que peuvent faire de visible au ciel, sur la terre, aux enfers, les Dieux mêmes. […] L’Architecte peut faire plusieurs Palais sur le même modèle, le Peintre, plusieurs tableaux du même Palais : mais quant au type ou modèle original, il est unique ; car si l’on supposoit qu’il y en eût deux semblables, ils ne seroient plus originaux ; ils auroient un modèle original, commun à l’un & à l’autre ; & c’est celui-là seul qui seroit le vrai. […] En effet, ôtez au plus brillant de ces tableaux le charme des vers & les ornemens étrangers qui l’embellissent ; dépouillez-le du coloris de la Poësie ou du style, & n’y laissez que le dessein, vous aurez peine à le reconnoître : ou, s’il est reconnoissable, il ne plaira plus ; semblable à ces enfans plutôt jolis que beaux, qui, parés de leur seule fleur de jeunesse, perdent avec elle toutes leurs graces, sans avoir rien perdu de leurs traits. […] L’homme ferme, prudent, toujours semblable à lui-même, n’est pas si facile à imiter ; &, quand il le seroit, l’imitation, moins variée, n’en seroit pas si agréable au Vulgaire ; il s’intéresseroit difficilement à une image qui n’est pas la sienne, & dans laquelle il ne reconnoîtroit ni ses mœurs, ni ses passions : jamais le cœur humain ne s’identifie avec des objets qu’il sent lui être absolument étrangers.

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