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19. (1694) Lettre d’un théologien « Lettre d'un théologien » pp. 1-62

S’il était vrai que les Comédiens fussent infâmes pour monter sur le Théâtre et pour jouer la Comédie, je voudrais savoir en vertu de quoi les jeunes gens dans les Collèges, les personnes les plus sages, et quelquefois les plus qualifiées, les Princes mêmes et les Rois, les Prêtres et les Religieux, qui tous pour se divertir, et sans scandale, représentent des personnages dans des Comédies, ne sont point infâmes ; et que les Comédiens le sont, eux qui ne font pas autre chose ? […] L’illustre et sage Prélat qui gouverne avec tant de succès ce grand Diocèse, et qui ne laisse rien échapper à ses soins et à son zèle, n’emploierait-il pas toute son autorité pour ôter cette pierre de scandale du milieu de son troupeau, s’il était vrai que la Comédie fut scandaleuse ? […] Cela serait ridicule : et bien que par malheur il arrive un scandale, et qu’on en prenne occasion de pécher, c’est un scandale passif et non pas un scandale actif, (pardonnez-moi ces termes de l’Ecole) c’est une occasion prise et non pas une occasion donnée, qui est la seule qu’on ordonne d’éviter ; car pour l’autre il est impossible de s’y opposer, et quelquefois même de la prévoir. […] On défend bien de lire la Bible en langue vulgaire, de peur que toute sainte qu’elle est, elle ne soit une occasion de scandale à quelques particuliers : à plus forte raison devrait-on pb n="49"/>interdire la Comédie, puisqu’elle cause des effets si dangereux sur quelques-uns, quand même ce ne serait que par accident. […] J’en excepte les Comédies qui se jouent en certains Pays, comme à Rome, à Venise, et dans toute l’Italie, où il est si ordinaire de voir des Religieux assister aux Spectacles, que cela est passé en coutume, et qu’il n’y a plus de scandale à donner ni à recevoir : de même qu’il n’y a point de mal pour eux de se trouver aux Comédies qui se jouent dans les Maisons Religieuses, ou dans les Collèges pour exercer la jeunesse, puisque c’est aussi un usage d’y voir sans scandale les Religieux des Ordres les plus austères.

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