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176. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE XI. Les Grecs ont-ils porté plus loin que nous la perfection de la Tragédie ? » pp. 316-335

Corneille qui fit d’abord des Vers sans savoir qu’il étoit Poëte, fit aussi dabord des Piéces de Théâtre sans sçavoir ce que c’étoit que Poësie Dramatique. […] Mais ce Grandhomme ne donne ses Réflexions que modestement, & les finit ainsi, voilà mes opinions, ou si voulez mes Hérésies, je ne sais point mieux accorder les Regles anciennes avec les agrémens modernes. […] Sa victoire passagere, dépendoit des applaudissemens du Peuple, & il ne pouvoit les attirer qu’en jettant ce Peuple dans une grande émotion, par la vivacité de l’Action ; il songeoit donc plutôt à peindre les Passions dans toute leur fureur, qu’à chercher ces finesses de l’Art, que l’Art sait cacher pour donner à l’esprit le plaisir de les chercher, par cette adresse à développer les ressorts du cœur humain, par cette délicatesse de sentimens, & toutes ces beautés, qu’on ne découvre pas dans une premiére lecture, loin qu’on en puisse être frappé dans la premiere Représentation. […] On pourroit dire encore que l’arrivée de l’homme de Corinthe, quoique très-possible, tient un peu du Merveilleux, ce qui contribue à faire croire que ce Sujet a été ajusté au Théâtre par Sophocle : & n’est-ce pas un plus grand effort de génie, de savoir ajuster les Regles de son Art à un Sujet dont on conserve toute la vérité historique ? […] Je n’entreprendrai point de décider, parce que je sais que l’Auteur d’Athalie, qui se flattoit d’être appellé le Rival d’Euripide, regarda toujours Sophocle comme son Maître, & disoit qu’il n’avoit jamais pris un de ses Sujets, n’étant pas assez hardi pour joûter (c’étoit son terme) contre Sophocle.

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