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15. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre V. Le but des auteurs et des acteurs dramatiques est d’exciter toutes les passions, de rendre aimables et de faire aimer les plus criminelles. » pp. 51-75

« Le poète qui sait l’art de réussir, cherchant à plaire au peuple et aux hommes vulgaires, se garde bien de leur offrir la sublime image d’un cœur maître de lui, qui n’écoute que la voix de la sagesse ; mais il charme les spectateurs par des caractères toujours en contradiction, qui veulent et ne veulent pas, qui font retentir le théâtre de cris et de gémissements, qui nous forcent à les plaindre, lors même qu’ils font leur devoir, et à penser que c’est une triste chose que la vertu, puisqu’elle rend ses amis si misérables. […] Tant il est vrai que les tableaux de l’amour font toujours plus d’impression que les maximes de la sagesse, et que l’effet d’une tragédie est tout à fait indépendant de celui du dénouement ! […] Sur celle-là jugeons des autres, et convenons que l’intention de l’auteur étant de plaire à des esprits corrompus, ou sa morale porte au mal, ou le faux bien qu’elle prêche est plus dangereux que le mal même, en ce qu’il fait préférer l’usage et les maximes du monde à l’exacte probité ; en ce qu’il fait consister la sagesse dans un certain milieu entre le vice et la vertu ; en ce qu’au grand soulagement des spectateurs, il leur persuade que, pour être honnête homme, il suffit de n’être pas un franc scélérat. […] On y apprend à ne couvrir que d’un vernis de procédés la laideur du vice, à tourner la sagesse en ridicule, à substituer un jargon de théâtre à la pratique des vertus, à mettre toute la morale en métaphysique, à travestir les citoyens en beaux esprits, les mères de famille en petites maîtresses, et les filles en amoureuses de comédie. » Aussi, dit Houdar de La Mothead, « nous ne nous proposons pas en composant des pièces de théâtres d’éclairer l’esprit sur le vice et sur la vertu, en les peignant de leurs vraies couleurs ; nous ne songeons qu’à émouvoir les passions par le mélange de l’une et de l’autre, et les hommages que nous rendons quelquefois à la raison ne détruisent pas l’effet des passions que nous avons flattées. […] Enfin est-ce pour prendre des leçons de sagesse, que tant de désœuvrés vont journellement courir à des spectacles, où, peu attentifs à la pièce, on les voit perpétuellement voltiger autour d’une troupe de sirènes, qui mettent tout en usage pour entraîner dans leurs pièges ceux dont elles ont irrité les désirs ?

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