Je pourrois m’étendre ici sur les conséquences que je tirerois aisément de la distinction de ces deux différentes especes de plaisir ; & c’est par-là que j’expliquerois sans peine pourquoi les Tableaux d’Histoire nous plaisent davantage que les Paysages, ou que la Peinture des choses mortes, ou inanimées ; pourquoi l’on voit avec plus d’admiration le portrait d’un grand homme que celui d’un homme du commun, quoique l’un & l’autre portrait soient également parfaits ; enfin pour revenir à la matiere présente, par quelle raison la Tragédie fait des impressions plus profondes & plus pénétrantes que la Comédie. […] On en revient toujours à juger de sa vraie beauté par la justesse & la fidélité de l’Imitation ; c’est ce qui fait que l’on y retourne ou qu’on la lit plusieurs fois avec un plaisir qui se renouvelle & augmente, même à mesure qu’une plus grande attention, & une espece de familiarité que l’on contracte avec l’ouvrage, y fait reconnoître de nouveaux rapports entre les objets imités & l’imitation du Poëte : notre esprit plus serein & plus tranquille en juge mieux alors, parce qu’il est bien moins offusqué de ces nuages que les passions élevent du fond de notre cœur : l’imagination seule avoit d’abord prononcé, & comme elle décide promptement, elle est aussi inconstante dans ses décisions ; mais le dernier suffrage est celui de la raison qui n’étant pas sujette aux mêmes changements parce qu’elle juge avec plus de maturité, assure à l’Auteur la durée de sa gloire, & lui donne droit d’espérer, comme dit Despreaux, Que ses vers à grands pas chez la postérité Iront marqués au coin de l’immortalité.