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136. (1697) Histoire de la Comédie et de l’Opéra « HISTOIRE ET ABREGE DES OUVRAGES LATIN, ITALIEN ET FRANCAIS, POUR ET CONTRE LA COMÉDIE ET L’OPERA — CHAPITRE III » pp. 42-76

Les différentes beautés des pièces consistent aujourd’hui aux diverses manières de traiter l’amour ; soit qu’on le fasse servir à quelque autre passion, ou bien qu’on le représente comme la passion qui domine dans le cœur. […] Les femmes ne négligent rien pour y paraîttre belles : elles y réussissent quelquefois, et s’il y en a quelqu’une qui ne le soit pas, il ne faut pas s’en prendre à la Comédie, rien n’est plus contre son intention, puisqu’elle lui fait tenir la place d’une personne qui a été l’objet d’une passion violente, qu’une Comédienne sans beauté ne représente pas fidèlement. […] Ils disent qu’il est vrai que la Comédie est une représentation des vertus et des vices, parce qu’il est de la fidélité des portraits de représenter leurs modèles tels qu’ils sont, et que les actions des hommes étant mêlées de bien et de mal, il est par conséquent du devoir du Poème Dramatique de les représenter en cette manière : mais que bien loin qu’il fasse de mauvais effets, il en a de tout contraires, puisque le vice y est repris, et que la vertu y est louée, et souvent même récompensée. […] « Telle est la corruption du cœur de l’homme, mais telle est aussi celle du Poète, qui après avoir répandu son venin dans tout un Ouvrage d’une manière agréable, délicate et conforme à la nature et au tempérament, croit en être quitte pour faire faire quelque discours moral par un vieux Roi représenté, pour l’ordinaire, par un fort méchant Comédien, dont le rôle est désagréable, dont les vers sont secs et languissants, quelquefois même mauvais, mais tout du moins négligés ; parce que c’est dans ces endroits qu’il se délasse des efforts d’esprit qu’il vient de faire en traitant les passions. […] Il continue par saint Augustin, qui remarque dans le troisième Livre de ses Confessions, Chapitre 2. qu’encore qu’il n’y ait rien que de feint dans les Représentations, l’on ne laisse pas de prendre part à la joie de ces Amants de Théâtre, lorsque par leurs artifices ils font réussir leurs impudiques désirs ; qu’on ne prend pas de plaisir dans les Comédies si l’on n’y est touché de ces aventures Poétiques qui y sont représentées, et dont cependant on est d’autant plus touché, que l’on est moins guéri de ces passions.

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