/ 419
97. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 10 « Réflexions sur le théâtre, vol 10 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE DIXIEME. —  CHAPITRE V. Tribunal des Comédiens. » pp. 128-140

Mais il est un autre tribunal qui n’a rien que de risible, qu’on peut appeller la Parodie du Palais, quoique les auteurs qui y vont humblement plaider leur cause ne le redoutent pas moins, que le prévenu, sur la scellette, redoute l’arrêt de la Tournelle ; c’est le tribunal des Comédiens, où l’on juge souverainement de la vie poétique, de l’honneur dramatique ; & du profit de la représentation d’un poëte qui présente une piece nouvelle ; l’un des grands abus du théatre ; c’est l’empire souverain qu’on a laissé prendre aux comédiens, sur les auteurs & sur les piéces. […] J’avoue même que l’illusion de la représentation y contribue ; l’impression, il est vrai, dissipe le prestige, & les représentations suivantes font bientôt évanouir le triomphe momentané de la derniere ; mais c’est toujours autant de prix, d’argent & d’encens. […] Une Compagnie est un corps respectable, de membres distingués par leurs fonctions, ou leur mérite : Compagnie de Magistrats, Compagnie d’Académiciens, &c. c’est en vérité les profaner que d’en approcher les comédiens, c’est comparer les globes lumineux qui roulent dans les vagues des Cieux, avec les atômes dont la petitesse échape aux regards, & qu’un souffle emporte & annéantit ; tels les comédiens, accablés sous le poids d’un sot & infructueux orgueil, vont le perdre dans leur propre bassesse ; la beauté de la représentation ne fait pas le mérite de la piéce, elle la tout entier par elle-même, soit qu’on la lise ou qu’on la voie jouer.

/ 419