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78. (1759) Lettre de M. d'Alembert à M. J. J. Rousseau « Chapitre » pp. 63-156

Les solitaires austères de Port-Royal, grands Prédicateurs de la mortification chrétienne, et par cette raison grands adversaires de la Comédie, ne se refusaient pas dans leur solitude, comme l’a remarqué Racine, le plaisir de faire des sabots, et celui de tourner les Jésuites en ridicule. […] Mais vous chercheriez en vain à détruire cette passion dans les hommes ; il ne paraît pas d’ailleurs que votre dessein soit de la leur interdire, du moins si on en juge par les descriptions intéressantes que vous en faites, et auxquelles toute l’austérité de votre Philosophie n’a pu se refuser. […] C’est là où l’amour-propre ne peut se faire illusion ni sur les succès, ni sur les chutes ; et pourquoi refuserions-nous à un Acteur accueilli et désiré du public, le droit si juste et si noble de tirer de son talent sa subsistance ? […] Enfin ne nous arrêtons pas seulement, Monsieur, aux avantages que la société pourrait tirer de l’éducation des femmes ; ayons de plus l’humanité et la justice de ne pas leur refuser ce qui peut leur adoucir la vie comme à nous. Nous avons éprouvé tant de fois combien la culture de l’esprit et l’exercice des talents sont propres à nous distraire de nos maux, et à nous consoler dans nos peines : pourquoi refuser à la plus aimable moitié du genre humain, destinée à partager avec nous le malheur d’être, le soulagement le plus propre à le lui faire supporter ?

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