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58. (1738) Sentimens de Monseigneur Jean Joseph Languet Evéque de Soissons, et de quelques autres Savans et Pieux Ecrivains de la Compagnie de Jesus, sur le faux bonheur et la vanité des plaisirs mondains. Premiere partie « Sentimens de quelques ecrivains De la Compagnie de Jesus, Touchant les Bals & Comedies. Premiere Partie. — Entretien troisieme. Le danger des Bals & Comedies découvert par l’Auteur des Sermons sur tous les sujets de la morale Chrétienne de la Compagnie de Jesus. » pp. 26-56

Ces spectacles dont il parlent, & contre lesquels ils invectivent avec tant de zele, étoient en partie sanguinaires & cruels, & en partie infames & honteux ; en sorte que les personnes qui avoient quelque sentiment d’humanité, ou de pudeur, en avoient elles-mêmes de l’horreur. […] Je suis même d’accord qu’on a épuré le Theâtre de toutes les obscenitez, qui vont à corrompre les mœurs, que l’on a soin dans les bals & dans les danses, que l’immodestie, & les libertez scandaleuses en soient bannies ; que les paroles, les gestes, les actions ne blessent point ouvertement la bienseance & la pudeur, quoique je ne tombe pas d’accord que toutes ces regles y soient toûjours si exactement observées. […] Non, me direz-vous, car la précaution que vous avez prise, vous ôte tout sujet de croire, que ce soit une occasion prochaine, ou bien un danger évident ; puisque ces spectacles sont tout autres que ceux des Anciens ; qu’on ne peut souffrir qu’on y represente le vice avec cette impudence, qui faisoit rougir alors les personnes qui avoient quelque reste de pudeur ; que dans les comedies mêmes les plus boufonnes, ou les plus enjoüées, on n’y peut supporter les paroles libres & équivoques ; que l’effronterie & l’immodestie ne se souffrent pas dans les bals & dans les assemblêes, & quoyque ces assemblées soient composées de personnes de different sexe, il est rare qu’on y voye rien qui soit ouvertement contre la bienseance ; & pour ce qui est des comedies, contre lesquelles les personnes zelées se déclarent le plus hautement, ne donne-t-on pas cette loüange à nôtre siecle, d’avoir purgé le Theâtre, de tout ce qui pourroit soüiller l’imagination, soit dans les paroles, soit dans les actions, soit même dans les sujets que l’on accommode au goût & aux mœurs de ce tems ? […] Nous sommes, à la verité, dans un siecle, où l’on garde des mesures de bienseance plus que jamais ; jamais les dehors ni les apparences de la vertu & de la probité n’ont été menagez avec plus de soin ; & comme l’on apporte toutes les précautions que l’on peut, pour conserver sa reputation, on témoigne de l’indignation contre les vices grossiers, & contre tout ce qui choque l’honnêteté ; mais comme les mœurs sont aussi corrompuës qu’elles l’ont jamais été, cette horreur que l’on marque pour tout ce qui blesse la pudeur, ou qui enseigne ouvertement le crime, est plûtost un effet de la politesse du siecle, que de sa probité ; de maniere que les spectacles de ce tems sont d’autant plus dangereux, que le mal y est plus caché, & plus subtilement déguisé.

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