Quant à l’objection que vous me fîtes Samedi dernier, et que vous renouvellez dans la Lettre que vous m’avez fait la grâce de m’écrire, je n’ai autre chose à y répondre que ce que je pris la liberté de vous dire à Saint-Cloud. […] J’avais pris cependant toutes les précautions possibles pour faire réüssir la Princesse de Cléves ; et persuadé qu’il est dangereux d’exposer de trop grandes nouveautés, je croyais qu’un Prologue que je fis pour préparer les Auditeurs à ce qu’ils allaient voir me les rendrait favorables ; mais leurs oreilles ne purent s’accommoder de ce qu’elles n’avaient pas coutume d’entendre ; et le Prologue attira plus d’Applaudissements que la Pièce. […] L’Histoire, où tant de fois pour remplir mes projets J’ai trouvé de grands Noms, et pris d’heureux Sujets, Comme Andromaque, Oédipe, Iphigenie, Horace, Où chaque Passion parle avec tant de grâce : L’Histoire, où des Héros les Exploits éclatants Savent se garantir des Insultes du Temps, Si souvent dépouillée en faveur de la Scène N’offre plus à mes yeux d’Action qui surprenne. On a vu par mes soins en Vers doux et pompeux Ce que Rome et la Grèce ont eu de plus fameux : Et j’ai même emprunté chez un Peuple Barbare Un des beaux Ornements dont la Scène se pare : Mais quoique Bajazet justifie un tel choix Ce sont des libertés qu’on ne prend qu’une fois ; Et de quelques Talents dont le Ciel m’ait pourvue J’ignore en quel endroit je dois fixer ma Vue. […] Pardon, Madame, si je vous mène si loin pour vous y laisser : deux de mes Amis, que vous n’aurez pas de peine à reconnaître quand vous saurez qu’ils me viennent prendre pour aller à Berny, m’arrachent la plume des mains ; et ne me laissent que la liberté de vous assurer qu’on ne peut être avec plus de respect que je le suis, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.