Quelques Auteurs ont prétendu que chaque Nation, & même chaque homme avoit son odeur propre comme la physionomie ; elle est sensible chez les Juifs & chez les Sauvages, dans certain tempérament, dans les excès de bouche ou de volupté. […] Pasquier dans ses recherches prétend qu’un des grands maux que les Croisades ont fait à la France, c’est d’y avoir apporté la molesse, le luxe & le faste asiatique, mal encore plus grand que la perte de tant d’hommes & de trésors qu’elles ont occasionné, parce qu’il n’a fait que croître, & qu’il est devenu sans remède ; la France auparavant modeste, simple, frugale, peut-être même un peu grossière ne connoissoit pas non plus que les anciens Gaulois la magnificence des habits, la richesse des meubles, la somptuosité des repas, les délises des parfums. […] Pasquier prétend que c’est encore l’origine de la poésie galante, des aventures romanesques aussi dangereuses qu’agréables, qui louent autant le vice que la vertu, ou plutôt qui inspirent le vice & dégoûtent de la vertu qu’on a imité des Grecs & des Arabes ; il est vrai que les Troubadours ces Poëtes coureurs, ces avanturiers d’amour, ces charlatans du Parnasse n’ont paru qu’alors, & porté de toutes parts leurs licencieux fabliaux, leurs romans, leur poésie amoureuse & très-maussade. […] Cette Princesse fameuse par sa beauté & par ses galanteries, mariée successivement à deux Rois à qui elle porta la plus riche dot ; au Roi de France qui la répudia, & qui aima mieux perdre une belle province que de vivre avec elle, au Roi d’Angleterre qui la tint quinze ans en prison : cette Princesse passa sa vie dans les fêtes, les jeux, les spectacles, donna elle-même les plus scandaleux, & rapporta en France & en Angleterre le luxe & la galanterie asiatique ; elle faisoit des amans par-tout, jusques chez les Mahométans où l’on prétend qu’elle fut aimée de Saladin, allumant par-tout le feu de la guerre ; en France pour se vanger de la jalousie de Louis, en Angleterre pour se vanger des amours de Henri qui cessa de l’aimer, & lui préféra des maîtresses ; elle arma ses enfans contre leur père, & fit naître une guerre civile ; elle courut de tous côtés : en Syrie poursuivre son mari, disoit-elle, en Allemagne pour délivrer son fils Richard ; deux fois en Espagne pour aller chercher ses belles-filles.