Voilà les spectateurs à qui les poètes et les comédiens doivent plaire, et qu’ils se proposent d’amuser : est-il donc surprenant que les premiers composent licencieusement, et que les seconds y conforment leur jeu ? […] Comme les poètes savent qu’on ne prendrait point de plaisir à voir représenter des actions pour lesquelles on a de l’horreur, ils ont grand soin de dérober à la vue des spectateurs tout ce qui peut leur causer cette horreur. […] En un mot, les poètes sont obligés de mettre dans la bouche des acteurs des paroles et des sentiments conformes à ceux des personnes qu’ils font parler et à qui ils parlent : or on ne présente guère que des méchants et des libertins, et on ne parle guère que devant les personnes qui ont le cœur gâté par des passions déréglées et l’esprit rempli de mauvaises doctrines. […] Cette intention ne garantit pas des mauvais effets des passions qui triomphent sur le théâtre ; c’est toujours le cœur qui prend le plus de part aux spectacles ; il en est même pour cette raison le premier juge, puisque ce n’est que relativement à l’émotion qu’on y éprouve, qu’on applaudit plus ou moins à la représentation, si on se sent plus fortement ému par le vif intérêt que l’on prend à l’action ; si on se sent transporté sur le lieu de la scène, et comme dans la situation du personnage qui nous attache le plus ; si on l’entend parler, et si on le voit agir comme on parlerait et comme on agirait soi-même, étant animé de la même passion : alors le cœur prononce que le poète et les acteurs ont bien réussi à intéresser les spectateurs.