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104. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — CINQUIEME PARTIE. — Tragédies à rejeter. » pp. 235-265

Je ferai mention, en passant, de l’art du Poète pour préparer l’attentat que prémédite Rodogune, quand elle veut faire assassiner Cléopâtre : l’Auteur, qui a senti la bassesse d’une telle action, s’est imaginé de la relever et de la rendre digne du tragique par l’horreur extraordinaire que Rodogune inspire en la proposant. […] Lorsqu’Elisabeth dit, qu’elle a donné lieu au Comte de ne rien craindre et sujet de ne point se gêner, le Poète a suivi parfaitement la nature, et selon ce principe, il établit une maxime très capable de séduire et de corrompre le cœur des Spectateurs ; mais l’austère vertu dont la Reine fait parade ensuite lorsqu’elle dit, que pour toute récompense de son amour le Comte doit être content de la voir, de soupirer, de la plaindre de se plaindre, cette austère vertu, dis-je, n’est capable que d’égayer l’Auditeur en le faisant rire d’une maxime que le penchant de la nature ne nous inspire pas : ainsi cette belle vertu est étalée sur la Scène en pure perte. […] Racine justifie l’amour d’Alexandre pour Cléofile par l’autorité de Justin ; mais s’il peut en parler comme Historien, je crains bien qu’il ne puisse pas le défendre comme Poète tragique. […] La passion de Ladislas naît du vice et non de la vertu : telle était la licence de la Scène du temps de Rotrou ; mais les Poètes tragiques depuis lui ont toujours fait ou tâché de faire croire aux Spectateurs que l’amour dans leurs Tragédies était enfanté par la vertu. […] Si l’amour condamnable de Ladislas reçoit le salaire qui lui est dû, la vertu de Cassandre n’est point exempte de reproches, et ne peut servir de modèle, parce que le Poète n’a pas donné à cette vertu la pureté et l’éclat nécessaire pour la rendre digne d’être admirée et d’être imitée.

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