Supposons des Rois pour spectateurs ; examinons leur contenance, étudions leurs gestes, démêlons leur trouble, applaudissons à leur frémissement, jouissons enfin du plaisir de trouver en eux des hommes. […] C’est donc la faute des Artistes, s’ils ne font pas servir leur art à l’instruction des spectateurs, comme à leur plaisir. […] Mais quand il serait vrai que la raison seule pût tenir lieu de vertu, la tragédie dont je parle n’enseigne-t-elle pas aux Rois, que leur intérêt personnel, celui de leur gloire et de leurs plaisirs ne peut jamais se séparer de l’intérêt général des peuples soumis à leur empire ? […] Quand ils pourraient convaincre l’esprit que l’amour de la gloire n’est en nous que l’amour des plaisirs physiques, pense-t-on que cette découverte, inutile à l’humanité, en faisant de meilleurs philosophes, fit aussi de meilleurs Rois ? L’amour des plaisirs physiques est commun à tous les hommes ; l’amour de la gloire convient à des Rois, et c’est dans leurs âmes qu’il faut l’exciter : c’est ce que Racine a fait avec tant d’art ; et Racine a du moins, sur tous les écrivains politiques ou moraux, l’avantage d’attacher ses lecteurs.