/ 371
33. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — TROISIEME PARTIE. — Tragédies à conserver. » pp. 128-178

Il me semble donc que l’on pourrait laisser Andromaque telle qu’elle est, et lui donner place sur le Théâtre de la Réforme ; après avoir pourtant fait précéder un examen très exact des maximes et des expressions de cette Pièce, pour corriger celles qui pourraient blesser les bonnes mœurs. […] On dira peut-être que cette Tragédie (ou Comédie héroïque, ainsi que Corneille l’a nommée) aurait été mieux à sa place dans la classe des Pièces à corriger, ou même à rejetter ; puisqu’elle peut s’appeller le triomphe de la passion d’amour, c’est précisément par cette raison que j’ai voulu l’examiner de près ; et que, toutes réflexions faites, je l’ai mise au nombre de celles que je conserve. […] « En un mot, dit-il, je suis persuadé que les tendresses, ou les jalousies des Amants ne sauraient trouver que fort peu de place parmi les incestes, les parricides et toutes les autres horreurs qui composent l’histoire d’Œdipe et de sa malheureuse famille. » M. Racine savait très bien ce qui convenait à la Tragédie ; et, je le répète encore, s’il n’eût pas craint de révolter le Public, en critiquant le goût général de son siècle, il aurait dit ; « que les tendresses et les jalousies des Amants ne sauraient trouver que fort peu de place parmi le majestueux, l’intéressant et le lugubre d’une action tragique. » Racine savait et sentait à merveille cette vérité ; mais, par malheur pour le Théâtre moderne, non seulement il n’eut pas la force de la déclarer dans la Préface de sa Thébaïde ; il n’osa pas même la pratiquer, si ce n’est dans Esther et dans Athalie : il se livra, malgré ses lumières, à la corruption générale de ses prédécesseurs et de ses contemporains : il ne se contenta pas même de mettre de l’amour dans toutes ses autres Tragédies ; il fit aussi, de cette malheureuse passion, la base de tous les sujets tragiques qu’il a traités. […] J’ajoute que la Tragédie d’Atrée et de Tyeste me paraît très bonne et très bien faite ; et, si s’en était ici la place, j’oserais me flatter de faire connaître, dans une courte apologie de cette Pièce, l’art admirable que le Poète a employé pour parvenir à son but ; art qu’on ne trouve que rarement, et, pour ainsi dire, presque jamais dans les Tragédies modernes.

/ 371