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85. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre VII. Est-il de la bonne politique de favoriser le Théâtre ? » pp. 109-129

Nous mettons à la tête le fameux Prince Armand de Conti, plus respectable encore par sa piété et par sa science, que par l’éclat de sa haute naissance et des grandes charges qu’il avait dignement remplies. […] Plus elle est charmante, plus elle est dangereuse ; plus elle semble honnête, plus je la tiens criminelle. » Il cite l’exemple de Chimène dans le Cid, alors si admiré et si honnête : « Elle exprime mieux son amour que sa piété, son inclination est plus éloquente que sa raison, elle excuse plus le parricide qu’elle ne le condamne ; sous ce désir de vengeance qu’elle découvre, on remarque une autre passion qui la retient, elle paraît incomparablement plus amoureuse qu’irritée ; prête à épouser le meurtrier de son père, l’amour qui triomphe de la nature, va la rendre coupable du crime de son amant. Les filles avoueront que l’amour de Chimène fait bien plus d’impression sur elles que sa piété, qu’elles sont plus touchées de la perte qu’elle fait de son amant, que de celle qu’elle fait de son père, et qu’elles sont plus disposées à imiter son injustice qu’à la condamner. » Il regarde comme impossible, depuis le péché originel l’entière pureté du théâtre, ainsi que des Poètes, parce « que les mauvais exemples plaisent plus que les bons, qu’on a plus d’inclination pour le vice que pour la vertu, qu’on exprime beaucoup mieux les passions violentes que les modérées, les criminelles que les innocentes, et que les Poètes, contre leur intention même, favorisent le péché qu’ils veulent détruire, et lui prêtent des armes contre la vertu, qu’ils veulent défendre, etc. » Sans toutes ces antithèses, ordinaires à cet éloquent et pieux Ecrivain, et qui n’affaiblissent pas la vérité qu’il enseigne, le P. le Moine, Jésuite, dans son Monarque, le P. […] Dacier dit dans son Commentaire : « Je voudrais qu’on fit réflexion sur ces paroles d’un Païen : les Païens pouvaient avoir des raisons d’aller aux jeux publics, c’étaient des Magistrats qui les donnaient ; mais elles sont aujourd’hui très mauvaises, c’est une vertu et une marque de piété de les mépriser ; on ne doit juger des progrès qu’on a fait dans la sagesse que par l’augmentation de ce mépris. » M.

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