Mais, de crainte d’ennuyer par un détail trop long, car je crois que cet examen seul ferait la matière d’un gros volume, je me suis restreint à un petit nombre de Pièces, qui suffiront cependant pour donner une idée des trois genres différents, sous lesquels les Drames de tous les Théâtres de l’Europe peuvent se ranger. […] N’en donnant qu’un petit nombre je leur laisse le champ libre, pour examiner eux-mêmes les Pièces qui restent ; ce qu’ils feront, sans doute, mieux que moi ; j’évite par là l’inconvénient de leur donner un ouvrage immense à faire, s’ils voulaient critiquer les jugements que j’aurais portés sur deux ou trois mille Pièces. Ajoutons à cela que je n’aurais pu examiner toutes les Pièces de Théâtre, sans courir le risque de critiquer les vivants, ainsi que les morts ; car il aurait bien fallu nommer la classe où je crois que chacune de ces Pièces doit être placée ; et si, par hasard, j’avais arrangé l’Ouvrage de quelque Auteur vivant sous la classe de Pièces à corriger, ou à rejetter, j’aurais infailliblement déplu à mes amis (et sous ce nom je comprends les Poètes que je fais profession d’aimer et d’estimer tous sans exception) et je me serais attiré la haine de tous les amis des Auteurs. […] Au reste le dessein que je m’étais proposé, quand j’ai travaillé sur les Tragédies, a été de les examiner du côté des mœurs ; afin de bannir du Théâtre de la réforme toutes les Pièces où la passion d’amour est portée à des excès qui peuvent être préjudiciables plutôt qu’utiles : mais, en travaillant selon mon plan et, pour ainsi dire, en chemin faisant, j’ai trouvé que les désordres de l’amour étaient souvent si mal imaginés par les Poètes, qu’il m’a été quelquefois impossible de ne pas relever des défauts que j’ai cru apercevoir dans leurs Ouvrages ; et c’est sur cela que je crois devoir prévenir mon Lecteur, et lui faire connaître ce que je pense.