La vanité l’empêche de voir que les objets de la nature étant finis, nos pensées le sont aussi, & que ce que nous pensons sur un objet, a pu l’être de même par des milliers d’hommes : cette obstination des Auteurs à ne vouloir marcher sur les traces de personne, produit un très-grand mal, en ce qu’elle empêche que les sujets ne soient traités sous toutes les faces possibles. […] Non sans doute, il faut qu’il consacre ses veilles pour un objet aussi important ; je crois même qu’avec beaucoup d’art & de ménagement, il pourroit parvenir à faire ouvrir les yeux de la raison sur une coutume aussi insensée ; on se bat le plus souvent plutôt pour obéir au préjugé, que par un motif de bravoure, & il est peu de personnes qui ne desirassent avoir la liberté ou de se venger d’une injure, ou de la mépriser. […] Il en est de même des défauts qu’une nation tolere, & qui sont devenus si communs, que peu de personnes en sont exemptes ; celui qui entreprendroit de les fronder par le secours de la scène, ne seroit peut-être pas accueilli favorablement des Spectateurs : par exemple, chacun sait que l’intérêt est aujourd’hui l’unique base des mariages ; quand on se propose un établissement, on ne songe gueres à s’informer si la personne qu’on recherche a des mœurs, de la vertu, de la conduite, ou si elle est d’une naissance distinguée : est-elle riche, demande-t-on d’abord avec empressement ? […] Eh bien, je crains sort que ce vice qu’on peut dire sans imprudence, être assez général aujourd’hui, ne fût un de ceux contre lesquels un Auteur comique échoueroit, parce qu’il se trouve trop de personnes qui n’ont point envie de s’en corriger.