Si les Princes sont des hommes, et si leur fortune et leur naissance ne les garantit pas des faiblesses de leurs Sujets, ils sont obligés de recourir à des moyens innocents pour relever l’éclat de leur Personne, et pour en imprimer le respect dans l’âme de ceux qui les voient. De là vient qu’ils sont toujours accompagnés d’une suite de Gardes, qui ne contribue pas moins à leur gloire qu’à leur sûreté, que les tambours ou les trompettes sonnent quand ils marchent, et qu’il se fait du tumulte et du bruit à l’entour de leur Personne pour en conserver la Majesté. Mais cela paraît particulièrement dans le luxe de leurs Habits, dans la magnificence de leurs Festins, et dans la pompe de leurs Spectacles : Car quand ils se montrent à leurs Sujets dans quelques occasions extraordinaires, ils doivent prendre ces ornements qui semblent être consacrés aux cérémonies publiques ; Ils sont obligés d’emprunter l’éclat des Perles et des Diamants pour éblouir les yeux des Spectateurs, et de ne rien oublier de tout ce qui peut entretenir la Majesté de leur Personne, et l’admiration de leurs Sujets. […] Il faut que le Prince songe que ce désordre passe aisément de son Palais dans les Maisons des particuliers ; que la Débauche qui donne de la licence aux Conviés, leur fait perdre le respect qui est dû au Souverain, que dans la chaleur du vin toutes les passions se réveillent, que ç’a été dans ces rencontres qu’Alexandre a commis des meurtres et donné sujet à ses amis de conspirer contre sa personne. […] L’homme est entièrement perverti depuis le péché, les mauvais exemples lui plaisent plus que les bons, parce qu’ils sont plus conformes à son humeur ; quand on lui représente sur le Théâtre le Vice avec ses laideurs et la Vertu avec ses beautés, il a bien plus d’inclination pour celui-là que pour celle-ci : Et comme les Poètes ne sont pas exempts de ce désordre qui n’épargne aucune personne, ils expriment beaucoup mieux les passions violentes que les modérées, les injustes que les raisonnables, et les criminelles que les innocentes : Si bien que contre leur intention même ils favorisent le péché qu’ils veulent détruire, et ils lui prêtent des armes pour combattre la Vertu qu’ils veulent défendre.