Nous ne pourrions pas de nos jours proposer de pareils modèles ; ou, du moins, nous ne devrions jamais le faire, parce qu’ils blesseraient nos mœurs : aussi la Tragédie de Phèdre est elle du nombre de celles que je rejette : mais, dans Andromaque, il ne s’agit que d’un amour tout naturel, et qui, eu égard aux personnes et aux circonstances, n’a rien en soi de criminel ; cependant cette passion, toute simple qu’elle est, se trouve portée à un tel point de violence, dans Pyrrhus et dans Hermione, qu’elle produit tous les excès que nous voyons. […] La passion d’amour, au contraire, est un Caméléon qui change de couleur à tout instant, suivant le caractère des personnes qui en sont possédées. […] Les hommes et les femmes y traitent l’amour avec une retenue et avec une modestie qui sont dignes d’admiration, surtout lorsqu’on les compare à la licence qui règne ordinairement sur le Théâtre ; et, quoique ce soient des personnes du plus haut rang qui nous y donnent des leçons d’une si belle conduite et d’une si rare modération, ce n’est pas seulement pour les Princesses et pour les Seigneurs que cette Pièce est instructive ; les personnes de la plus basse naissance en peuvent tirer les mêmes avantages. […] Pierre Corneille, dans l’examen qu’il en fait, s’exprime en ces termes. « Les tendresses de l’amour humain y font un si agréable mélange avec la fermeté du divin que sa représentation a satisfait tout ensemble les dévots et les gens du monde etc. » On ne pense plus de même aujourd’hui : il y a des personnes qui sont choquées de ce mélange ; et je veux bien, pour un moment, me ranger de leur parti. […] En effet, une fille qui consent que son Amant l’enlève, dans l’instant qu’elle est à l’Autel pour en épouser un autre que son père lui a destiné, et qui à la fin se trouve réduite par la mort de son mari à se tuer elle-même, ne peut, je pense, que présenter une leçon bien utile aux jeunes personnes ; puisque malheureusement il s’en trouve qui ne craignent pas de s’exposer au sort de Servilius et de Valérie.