/ 489
84. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre I. Des Parfums. » pp. 7-32

Ce Prince Africain perdu de débauches étoit singulièrement adonné au luxe des bonnes odeurs, il faisoit les plus grandes dépenses pour faire venir de tous côtés les plus précieuses ; elles faisoient une partie essentielle de sa cuisine, il falloit que tout ce qu’on servoit sur sa table fut assaisonné avec des parfums ; on lui donnoit ordinairement deux faisans & un Paon qu’il aimoit beaucoup, ils étoient si farcis de drogues odoriférantes que leur assaisonnement revenoit à cent ducats, sans compter les autres viandes & ragoûts qui devoient être aussi odoriférans. […] Un Prince si efféminé ne pouvoit manquer d’être vaincu ; il le fut en effet, les parfums le perdirent, sa Capitale fut prise & son Palais pillé. […] Le luxe avoit gagné jusqu’à l’armée, il fit perdre à Pompée la bataille de Pharsale ; les Officiers & les Soldats de César au contraire avoïent toute la dureté gauloise. […] Tel ce guerrier petit maître qui étant tombé dans la poussière, y perdit le chef-d’œuvre de sa toilette, fœdare in pulvere crines vibratos calido ferro, myrthaque madentes . […] On ne finit point, il semble qu’on veuille s’engloutir dans les odeurs, s’incorporer les parfums ; la passion ne connoît point des bornes, elle se perd dans le vin, dans les viandes, dans les odeurs pour s’abîmer dans la volupté.

/ 489