Pour rendre cette Tragédie parfaite, je voudrais retrancher jusqu’à la moindre idée d’amour dans le cœur d’Æmilie ; j’ai toujours pensé, en voyant représenter Cinna, qu’Æmilie n’aime point, et qu’elle ne respire que la vengeance ; et je suis persuadé qu’un Spectateur, qui entre dans cette pensée, regardera les plus vives expressions de l’amour d’Æmilie, comme autant de feintes auxquelles elle a recours pour engager Cinna à poignarder Auguste ; car on sait que ce sont là les armes ordinaires des femmes, lorsqu’elles veulent parvenir à leurs desseins. […] Je pense donc qu’il y a plus d’un endroit où cette Tragédie mérite d’être corrigée, en ce qui concerne la passion de Sertorius et de Perpenna. […] Les Modernes pourraient critiquer l’Auteur de la Tragédie de Géta ; parce que ce Prince, ainsi que Justine sa maîtresse, sont représentés trop vertueux, sans donner lieu à la compassion des Spectateurs de s’affaiblir par la vue de quelque défaut, suivant qu’ils soutiennent que les Anciens ont fait : je pense, pour moi, que les Anciens n’ont jamais songé à diminuer la compassion des Spectateurs ; car ce serait avoir entrepris de faire violence à la nature, chose qu’on ne peut leur reprocher. […] A l’égard de la compassion que l’on peut avoir pour les personnages qui meurent, elle ne doit point balancer l’horreur que l’Auteur de tant de carnage inspire ; et c’est, comme je l’ai déjà dit et comme je le pense, l’horreur du crime, ou l’amour de la vertu, qui établit la catastrophe. […] Je pense donc que, pour rendre cette Pièce digne du Théâtre de la Réformation, il faudrait faire ce que Quinault eût fait s’il avait suivi son premier projet ; et qu’il suffirait que Lavinie et Albine ne parlassent jamais d’Agrippa et du Roi, que comme de leurs époux ; puisqu’en effet leur mariage était arrêté, et devait se conclure au retour des Princes, après leur expédition : pour lors tout ce qu’elles diraient (soit à propos d’amour ou de vengeance) serait autorisé ; et il n’y aurait rien à reprocher à la Pièce, si ce n’est peut-être quelques expressions de tendresse qu’il faudrait ou changer ou retrancher ; mais l’ouvrage serait très aisé : et nous avons déjà nommé bien des Tragédies dans la classe des Pièces à corriger, qui demandent un plus grand travail.