… Du plaisir, des tourmens… Loin de vous, mais jouissant de la présence de mon ami, de l’entretien d’une femme que j’estime, que j’adore, dans qui je vois les grâces les plus touchantes unies à la vertu ; j’ai peine à démêler mes sentimens : est-ce l’admiration seule, est-ce l’amitié ? […] Malgré ce que je viens de dire, jamais il ne faut, comme Molière l’a fait trop souvent, immoler au vice le simple ridicule : on a peine à retenir son indignation, dans cette même Piece de Georges Dandin, en voyant la manie des hautes alliances corrigée par le triomphe du crime de l’infidélité : le rire, à cette Comédie, le rire devient criminel, car il peut être un assentiment secret à la coquetterie, à l’adultère même : Molière, en la mettant au Théâtre, est d’autant plus coupable de pervertissement de mœurs, que les tableaux y sont mieux faits, les situations mieux amenées, & que les finesses d’une femme galante ainsi présentées, peuvent devenir une leçon pernicieuse à plus d’une Spectatrice. […] Cependant j’ai peine à croire que l’art des Sophocle & des Ménandre eût été fort considéré par un Peuple guerrier, ennemi naturel du travail d’esprit ; tout état qui exigeait une vie sédentaire était peu de son goût : c’est pourquoi nous ne voyons pas qu’ils fîssent grands cas soit des Commerçans ou de ceux qui exerçaient les Arts & les Métiers. […] Mais il faut ici distinguer : l’homme sans instruction ne pense que d’après les autres ; il en tire le plus de jugemens qu’il peut, pour s’éviter la peine de les former, par la comparaison & la réflexion : il est à présumer que comme les travaux corporels diminuent la faculté de combiner les idées, & que toute occupation fatiguante abrutit, l’homme de peine aime mieux avoir recours à sa mémoire, que d’exercer sa judiciaire ; il est ravi de trouver des formules toutes faites qui l’en dispensent ; ces formules, outre qu’elles sont universellement reçues, n’exposent pas son amour-propre ; vraies ou fausses, elles sont avouées, & foudroient celui contre qui on les lance. […] qui soutiendrait l’homme de peine, indigné de l’arrogance de son semblable ?